Introduction |
Qu'elle s'y adonne ou la repousse, la philosophie a son destin lié à celui de la métaphysique. En quête de sens, peut-elle en faire l'économie ?
A. Dénomination
Le mot " métaphysique " a été forgé au 1er siècle par Andronicos de Rhodes, éditeur de l'oeuvre d'Aristote, pour désigner les livres d'Aristote qui venaient après ("méta") les livres de physique ("physique"). Cf. Jean Greisch, Etre et langageAristote, quant à lui, se servait de l'expression " philosophie première " pour désigner sa propre recherche. Il entendait désigner ainsi sa philosophie en tant qu'elle portait sur la cause première de toutes choses.
N.B. L'ontologie, connaissance de l'être en tant qu'être, se distingue de la métaphysique en ceci qu'elle ne porte pas - à la différence de la métaphysique - sur les êtres, fussent-ils originaires (tel Dieu), mais sur la réalité de l'être en tant qu'il est. Cf. infra
B. Nature
La métaphysique s'efforce de répondre aux questions relatives au pourquoi ultime de toutes choses. Cf. formulation par Leibniz : "Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ?".La métaphysique entend ainsi apporter satisfaction de façon radicale au besoin de compréhension qu'éprouve l'esprit humain.
Les objets privilégiés de la réflexion métaphysique classique sont
- l'existence de Dieu,
- la nature et l'étendue de la liberté,
- l'immortalité de l'âme.
C. Illustration
La métaphysique de Descartes est, à bien des égards, exemplaire de la démarche métaphysique classique.En se livrant à ses méditations de philosophie première, ainsi qu'il les appelle, Descartes éprouvait le besoin de fonder la possibilité d'une connaissance certaine. La métaphysique est en effet une entreprise de fondation intellectuelle. Elle entend assurer à la pensée un accès assuré à une pleine vérité.
Voici les certitudes auxquelles Descartes parvient progressivement :
Méditation 1 : Tout est douteux de ce que qui se donne à connaître. Méditation 2 : Je pense et donc je suis, cela du moins ne saurait être révoqué en doute.
Méditation 3 : Dieu existe, à qui je dois moi-même d'être, et de penser que je suis.
Méditation 4 : Libre, je suis en mesure d'atteindre la vérité par mes propres forces. Je ne saurais que m'imputer à moi-même les erreurs dans lesquels il m'arrive de tomber.
Méditation 5 : Le seul exercice de ma propre pensée, conduite méthodiquement, me permet d'affirmer l'existence de Dieu.
Méditation 6 : L'âme et le corps, dont mon être est formé, constituent deux substances de nature différente, la première étant immortelle et la seconde, seule, corruptible.
Dieu, la liberté et l'âme - par quoi tout s'explique en l'homme - sont autant d'objets de certitude intellectuelle, dépassant les limites de ce qui peut être empiriquement observé. Ce sont autant de réalités métaphysiques "métempiriques" (V. Jankélévitch)
Le Dieu auquel accède Descartes - par la pensée faisant retour sur soi - joue un double rôle, particulièrement éclairant sur la nature de la métaphysique :
Dieu permet de savoir pourquoi ce qui est existe, autrement dit pourquoi il y a quelque chose plutôt que rien. Mais Dieu garantit également la possibilité de connaître ce qu'il en est de ce qui est.
Aussi l'idée de Dieu que Descartes élabore n'est-elle pas de nature religieuse mais de nature philosophique. Cf. cours sur la philosophie. Du Dieu de Descartes, Pascal pourra dire qu'il est le "Dieu des philosophes et des savants" , et non le Dieu de la foi . Cf. Pascal, Pensées. Une idée métaphysique et une idée religieuse n'ont en effet ni la même origine ni la même fonction. Une idée métaphysique est une idée rationnelle, fruit de la seule pensée, destinée à l'éclairer. L'idée religieuse par contre est une idée révélée, fruit d'une expérience existentielle, destinée à donner un sens à l'existence. Cf. cours sur la religion.
A. Critiques de la métaphysique
La métaphysique a été, dès le XVIIIe siècle, l'objet d'une critique systématique.1. Kant
Dans la Critique de la raison pure, Kant fixe les limites de la métaphysique. L'esprit humain est incapable de connaître les choses en soi, appelées noumènes; il n'a réellement accès qu'aux phénomènes. Ainsi, de Dieu nous ne saurions dire, au moyen de la seule spéculation, s'il existe ou s'il n'existe pas. Cf. cours sur l'existence, critique par Kant de l'argument ontologique.
2. Nietzsche
Selon Nietzsche la métaphysique égare l'esprit dans ce qu'il appelle les "arrière-mondes", celui des Idées et des idéaux, le détournant de cela seul qui importe, la vie ici-maintenant. Cf. Nietzsche, Par-delà le bien et le mal § 11
3. Comte
Comte voit dans la métaphysique une forme d'investigation périmée. Cf. cours sur la religion. L'esprit humain serait, selon lui, passé par deux âges révolus du fait de l'avènement de la pensée scientifique : l'âge théologique, initial, et l'âge métaphysique, intermédiaire. Le premier correspondrait à l'enfance, crédule, de l'humanité et le second, idéaliste, à son adolescence. La science serait seule digne de l'âge mur. Cf. Comte, Cours de philosophie positive.
4. Heidegger
Au nom de l'ontologie à laquelle il entend redonner vie, Heidegger accuse la métaphysique de détourner la pensée de l'être en tant qu'être au profit d'êtres suprêmes.Cf. Heidegger, Essais et conférences
B. Irréductibilité de la métaphysique ?
Si les modernes critiquent la métaphysique, c'est
- soit parce qu'elle rejoint la religion, sans le pouvoir vraiment
- soit parce qu'elle détourne l'homme du monde jugé seul réel.Si critiquable soit-elle, peut-on se passer de la métaphysique ? L'esprit a besoin de sens. Or le sens DU MONDE ne peut être fourni que par référence à l'AU-DELA de ce monde, métaphysique par nature ! Cf. Cours sur le sens.
S'il veut s'appuyer sur ses seules forces rationnelles, sauf à consentir tel Camus, à l'absurde, ou à sombrer dans un mysticisme aveugle tel Heidegger, aveuglé par la mystique païenne du nazisme, l'homme ne peut que se tourner vers la métaphysique !
Auguste Comte l'avait bien senti : nous sommes entrés dans l'ère des science, et sommes tentés en conséquence de nous en tenir à cela seul que l'expérience peut nous apprendre. Mais lorsque celle-ci se veut partageable par tous et silencieuse sur l'invérifiable, elle nous laisse sur notre faim. Qui suis-je, d'où viens-je, où vais-je ? Mystère ! Si la philosophie renonce à l'exercice de la pensée rationnelle pour élaborer des hypothèses métaphysiques, elle laisse le champ libre à l'irrationnel et fait le jeu des sectes, ainsi que notre temps l'atteste, dérisoirement. Dieu n'est plus au programme de philosophie, mais la religion ...
© M. Pérignon