L'existence

 

 

 

plan

 

Introduction

- Point de départ avec Pascal

- Exister, c'est vivre en sachant que l'on doit mourir

- Conséquence: exister, un problème !

 

I. Approche générale : essence et existence

A) Définitions

B) L'existence indéductible

C) L'existence point de départ et but de la pensée

 

II. L'existence humaine, spécificité

A) Pas d'essence humaine

B) L'existence précède l'essence

C) L'homme condamné à être libre

 

III. L'expérience de l'existence, ses composantes

A) la finitude de la condition humaine : l'homme est condamné à être libre

B) l'incompréhensibilité du surgissement de l'homme

C) le néant

D) l'inachèvement de l'homme

E) la liberté absolue

 

Conclusion

 


Introduction

- Exister pour l'homme, c'est vivre en sachant qu'il doit mourir ...
Cf. Pascal, Pensée 200, édit. Laffuma : l'homme sait qu'il meurt !

- Conséquence : l'existence pose problème !

 

I. Approche générale

Pour dire l'être, deux mots : essence et existence
Cf. Texte de Jean Beaufret (1907-1982)

Des deux mots existence et essence, le mot essence a été utilisé en premier pour parler de l'être.

N.B. Intérêt philosophique pour l'existence, récent...

 

A) Définitions

Essence = ce qui est constitutif de la nature d'une chose, ce par quoi on la définit.
N.B. Syn. d'essence : quiddité

Existence = fait d'être (réellement)

N.B. Se dit des personnes comme des choses, même si, à la suite de Martin Heidegger, le concept s’est spécialisé pour désigner la seule existence humaine, celle d’un sujet capable d’une présence consciente au monde (Dasein)

Cf. Descartes: "je pense, je suis"

N.B. Étymologie: existere = sortir, se manifester

 

B) L'existence indéductible de l'essence

La pensée de l'essence d'une chose permet de déduire ses propriétés.
Ex. De l'essence du cercle, je peux déduire qu'il est rond, propriété sans laquelle il ne serait pas un cercle.

Par contre, la pensée ne peut affirmer la nécessité de l'existence d'une chose : ce n'est pas parce que je pense à une chose avec ses propriétés ("attributs"ou"prédicats") que cette chose existe.

Ex. Le fait de penser que le père Noël est généreux ne permet pas de conclure à l'existence d'un père Noël généreux !

Pour la pensée, l'essence d'une chose est nécessaire, mais l'existence de cette chose ne saurait être que possible.Aussi aucune existence ne saurait être démontrée, elle peut qu'être montrée !

Cf. critique par Kant de la preuve ontologique de l'existence de Dieu.

Analyse de la preuve ontologique.

Elle est ainsi appelée par Kant, parce qu'elle prétend prouver que Dieu est (existe) en partant de ce que l'on pense qu'il est (par essence), nécessairement.

Raisonnement Saint Anselme, dans le Proslogion  et de Descartes, dans les Méditations :

• Être parfait, Dieu possède toutes les perfections.

• Or l'existence est une perfection.

• Donc Dieu possède l'existence.

Critique de la preuve ontologique.

Kant récuse la preuve ontologique au nom de la nature de l'existence : elle n'est pas une composante de l'essence d'un être, qui viendrait s'ajouter à d'autres composantes; elle n'ajoute rien à ce qui le fait être ce qu'il est ! Kant montre que cette preuve est irrecevable, parce qu'elle considère l'existence comme un prédicat nécessaire du concept de Dieu. Or l'existence ne peut être le prédicat d'un concept. Kant prend l’exemple d’une somme d’argent, de cent thalers. Savoir que ces cent thalers sont en or ou en argent, voilà qui ajoute à ce concept. Par contre, que ces cent thalers existent ou n'existent pas, cela n'ajoute rien à l'idée de cent thalers, qui reste la même.

Cf. Karl Jaspers (1883-1969) : " l'existence n'est pas un concept   mais un index qui désigne un au-delà par rapport à toute objectivité. "

De la critique de Kant, on peut tirer trois conséquences :

Première conséquence : l'existence n'est pas un concept mais une position, càd le simple fait d'être là. Dire que quelque chose existe, ce n'est pas enrichir l'idée de cette chose, c'est mettre en relation cette idée avec quelque chose qui n'est pas une idée : l'existence.

Deuxième conséquence : l'existence ne peut donc être que l'objet d'une expérience. Elle s'éprouve, elle ne se prouve pas. C'est pourquoi l'objet de la pensée ( et donc de la philosophie ), ce sont les essences, et non l'existence. L'existence se constate, mais on ne peut lui faire correspondre aucune idée ni aucun discours. Sur une telle expérience, cf. Sartre, La Nausée, p. 179s. Pour Sartre (1905 /1980), philosophe français de l'existence " Par définition l'existence n'est pas la nécessité. Exister, c'est être-là, simplement. Les existants apparaissent, se laissent rencontrer, mais on ne peut jamais les déduire. " (La Nausée, p. 185) N.B. Lire p. 179s

Troisième conséquence : l'existence marque la limite de la pensée. Si l'existence n'est pas un concept elle marque la limite de la pensée, puisqu'on ne peut démontrer l'existence de quelque chose à l'aide de la seule pensée.

 

C) L'existence, point de départ et but de la pensée pour Kierkegaard (1813-1855)

L'existence apparaît à Kierkegaard comme étant ce sans quoi rien ne saurait être donné à penser, donc comme étant le point de départ obligé de toute pensée.

Historiquement, l'affirmation du sens de l'existence a été formulée par Kierkegaard en réaction contre le système, rationaliste, de Hegel.

Pour Hegel " tout ce qui est réel est rationnel, tout ce qui est rationnel est réel ". Ce qui veut dire :

l’irrationalité du réel n'est qu'apparente : tout est explicable et rationalisable.

• la vraie réalité n'est pas la réalité empirique, mais la réalité douée de sens, càd telle que le système l'explique et la présente.

Le système de Hegel oublie volontairement la limite fixée par Kant . Il ne se soumet pas à l'épreuve de la réalité, il décide de ce qui est réel. Kierkegaard combat l'idée que le sens et la valeur de l'existence soient absolument déterminés par le système, et que la philosophie puisse, à la limite, se passer de l'existence. Cf. " Partout il est acquis et posé que rien ne dépasse la pensée. La science se détourne toujours plus des impressions premières de l'existence; il n'y a rien à éprouver, rien à ressentir, tout est prêt et la spéculation* n'a désormais plus qu'à cataloguer, ordonner, classer méthodiquement les divers degrés de la pensée; on n'aime pas, on n'agit pas, on ne croit pas, mais on sait ce qu'est l'amour, ce qu'est la loi, ce qu'est la foi, et toute la question est de savoir quelle place leur assigner dans le Système. " (Kierkegaard, Post-Scriptum, p.44)

Quand la philosophie prétend prendre le pas sur l'existence, il faut réaffirmer que l'existence est le point de départ de la pensée. La première exigence des philosophies de l'existence est de tenir compte des vécus existentiels. Le penseur ne doit pas oublier son existence d'homme au moment où il prend la plume ! Reste à savoir ce que récolte celui qui, dédaigneux des systèmes, cherche à saisir l'existence dans toute sa nudité.

 

II. L'existence humaine, spécificité

 

A) Pas d'essence humaine

Selon Sartre, il n'y a pas d'essence humaine. L'homme, en effet, ne peut pas être compris comme une chose pré-déterminée.

Ex. Je peux me demander ce qu'est une chaise, non pas ce qu'est Pierre, mais qui il est.

- Une chaise a une essence qui précède son existence dans la mesure où elle a d'abord été une idée dans l'esprit de celui qui l'a fabriquée.

- Mais Pierre n'a été une idée dans l'esprit de personne, à moins d'imaginer Dieu concevant Pierre comme l'ouvrier la chaise.

 

B) L'existence précède l'essence

L'homme n'est DONC pas quelque chose, il ne peut être saisi que par ses actes : l'homme est ce qu'il fait. OR il existe avant de faire telle ou telle chose. C’EST POURQUOI "l'existence précède l’essence".
 

C) L'homme est condamné à être libre

Chaque acte est un choix, et c'est en choisissant de faire telle ou telle chose que l'homme existe. L'homme existe en se choisissant. L’EXISTENCE est DONC LIBERTÉ. Cf. cours sur la liberté
 

III. L'expérience de l'existence, ses composantes

 

A) la finitude de la condition humaine

L'existence est enserrée entre les barrières de la naissance et de la mort. Elle paraît alors dérisoire mais aussi pathétique, dans la mesure où cet être fini et périssable qu'est l'homme peut penser l'infini et l'éternité. Cf.cours sur la mort

 

B) l'incompréhensibilité du surgissement de l'homme

Quand je considère la petite durée de ma vie absorbée dans l'éternité précédente et suivante ... le petit espace que je remplis et même que je vois abîmé dans l'infinie immensité des espaces que j'ignore et qui m'ignorent, je m'effraye et m'étonne de me voir ici plutôt que là, car il n'y a point de raison pourquoi ici plutôt que là, pourquoi à présent plutôt que lors. Qui m'y a mis ? Par l'ordre et la conduite de qui ce lieu et ce temps a(-t-)il été destiné à moi ? " (Pascal, Pensée 68)
 

C) le néant

La conscience de l'existence, selon Heidegger, est inséparable de la conscience du Néant qui enveloppe l’Être et dans laquelle s'abîme toute existence.

Cf. Mounier, Introduction aux existentialismes, p. 66-68

 

D) l’inachèvement de l'homme

Sans essence, l'homme se fait sans cesse; il est fondamentalement projet.
Cf. Sartre: "L'homme, sans aucun appui et sans aucun secours, est condamné à chaque instant à inventer l'homme". (L'Existentialisme est un humanisme p. 38)

Seule la mort peut lui donner une essence en le privant de son existence : l'homme est alors ce qu'il a été.

 

E) la liberté absolue

Non déterminé, l'homme est totalement libre, et ne peut échapper à son destin; il est "condamné à être libre " (L’Être et le Néant p. 515)

Cela signifie qu'on ne saurait trouver à sa liberté d'autre limite qu'elle-même ou, si l'on préfère, que nous ne sommes pas libres de cesser d'être libres.

Aussi l'homme est-il voué à une solitude absolue.

Aussi la conscience de l'existence est-elle toujours tragique.

 

Conclusion

En l'homme, l'être est à-être. C'est cela exister.

 


© M. Pérignon