La liberté

 

 

 

Introduction

 

Choix d'une approche historique de la notion de liberté
I. Son émergence

II. Son élaboration

III. Sa contestation

 

Première partie: émergence de l'idée

 

Emergence tardive : 1er siècle av.-J.C : avant Epictète on ne s'interrogeait pas pour savoir si l'individu pouvait disposer de son agir.

 

A) Pourquoi le problème ne se posait pas

Le mot existait ("eleutheria"). Mais son sens était purement juridique . Le mot liberté désignait

- la condition de l'homme libre, opposée à celle d'esclave;

- et l'état, politique, d'indépendance.

La conception du monde d'alors assignait à chacun (homme ou Dieu) un rôle qu'il ne pouvait que jouer.

 

B) En quels termes l'idée apparaîtra chez Epictète

 

Pouvoir qu'Epictète reconnaît à l'homme:  celui d'échapper à toute contrainte qui pèserait sur sa décision. Il découvre qu'un tel pouvoir repose sur la liberté intérieure du jugement. Ce qui le prouve : l'impuissance de la menace à trouver prise sur celui qui s'y dérobe en maîtrisant sa crainte.

Postérité contemporaine de cette analyse : l'affirmation, par Sartre, de l'existence d'une liberté absolue. Chez Sartre comme chez Epictète, cette affirmation est liée à l'existence de Dieu:

. Epictète : Dieu invoqué, Providence

. Sartre : Dieu révoqué, Le Grand horloger (de Voltaire)

 

Deuxième partie :

élaboration du concept de liberté

 

Elle se fera autour de deux concepts :

· celui de choix

· et celui de volonté (Cf. cours sur la volonté)

 

A) Première notion clé : le choix

 

L'homme est libre en tant qu'il a le pouvoir de choisir. Un tel pouvoir était reconnu déjà par Epictète. Il sera qualifié au Moyen-Age de "libre arbitre *", au sens de pouvoir des contraires ("faire ou ne pas faire, poursuivre ou fuir", dira Descartes), et symbolisé (négativement) par l'âne de Buridan. - On parle aussi à son propos de "liberté d'indifférence".

Le libre arbitre ne saurait être purement et simplement identifié avec la liberté. Saint-Augustin, déjà, avait soigneusement distingué la liberté, pouvoir de faire ce que l'on a choisi de faire, du libre arbitre, pouvoir de choisir. Leibniz fait observer que le cas envisagé n'est pas possible : "il y aura toujours des choses dans l'âne qui le détermineront à aller d'un côté plutôt que de l'autre"

 

 

B) Deuxième notion clé : la volonté

 

Saint-Augustin et Descartes voient dans la liberté une propriété évidente de la volonté.

 

a) L'élaboration augustinienne.

Pour Saint-Augustin, être libre, c'est pouvoir faire ce que l'on a choisi de faire.
Qui dit libre arbitre ne dit donc pas nécessairement liberté ! Cela a des implications éthiques et conduit à un déplacement notionnel ...

Implications éthiques

S'il y a toujours libre-arbitre là où il y a liberté, la réciproque n'est pas toujours vraie. Pas de liberté sans pouvoir de choix, mais tout choix n'est pas bon  : faire le mal, conduit à se dégrader, et donc à aliéner sa liberté.

Déplacement notionnel opéré

La notion de liberté était articulée à la notion de jugement dans le stoïcisme, elle-même tributaire de la conception grecque, de l'activité humaine (naturaliste).

La notion de liberté est référée par Augustin à l'action, volontaire, de l'homme et ouvre ainsi la voie à sa responsabilisation.

 

b) Fondation cartésienne de la subjectivité.

Pour Descartes, comme pour Saint-Augustin, "la liberté de notre volonté se connaît sans preuve, par la seule expérience que nous en avons."

La liberté/libre-arbitre était une et indivisible. Elle va connaître des degrés.

· On peut être libre à des degrés divers. Ces degrés sont liés à la relation de l'entendement à la vérité :
- au plus haut degré, l'évidence (cf. cogito)

- au plus bas degré, l'ignorance avec règne de la liberté d'indifférence.

Cf. Descartes, Méditation 4 + Lettres.

· La liberté est fondée dans la subjectivité liberté et volonté reposent sur l'autonomie du sujet.

N.B. Le jugement (grec) et la volonté (chrétienne) se rejoignent dans la vision cartésienne, le rôle ultime étant toutefois reconnu à la volonté, (perspective qui restera au coeur de la vision moderne de la liberté.)

 

Troisième partie : la liberté soupçonnée

Lorsque se posera la question de savoir si l'homme est vraiment libre, ce sera par référence à la notion de volonté (dans la ligne d'Augustin et de Descartes). Cette question, Spinoza sera le premier à la poser. Nietzsche abondera dans le même sens.

 

A. La critique spinoziste

Définition spinoziste la liberté: " J'appelle libre, quant à moi, une chose qui est et agit par la seule nécessité de sa nature; contrainte, celle qui est déterminée par une autre à exister et à agir d'une certaine façon déterminée."

Dieu, par exemple, existe librement bien que nécessairement parce qu'il existe par la seule nécessité de sa nature. De même aussi Dieu se connaît lui-même et connaît toutes choses librement, parce qu'il suit de la seule nécessité de sa nature que Dieu connaisse toutes choses. "Vous le voyez bien, je ne fais pas consister la liberté dans un libre décret, mais dans une libre nécessité." (Spinoza, lettre à Schuller)

Idée de Spinoza : lorsque nous pensons être libres, nous nous trompons. Cette illusion est la conséquence d'une ignorance qui s'ignore  conscients de nos actions, nous ignorons ce qui les détermine et nous pensons ainsi agir volontairement. (Cf. Cours sur l'illusion)

 

B. Le soupçon Nietzschéen.

Comme Spinoza, Nietzsche considère que la notion de volonté libre, à l'origine de nos actes, repose sur une illusion. Et l'illusion tient à une ignorance  : "Nous avons faim, nous ne pensons pas l'origine que l'organisme veut être entretenu; cette sensation paraît se faire sentir sans raison ni but. Ainsi la croyance à la liberté du vouloir est une erreur originelle de tout être organisé..."

Allant plus loin que Spinoza, Nietzsche explique le recours métaphysique à la notion de liberté, tel que Kant a pu le pratiquer. Kant faisait de la liberté l'objet d'un postulat que requérerait l'accomplissement du devoir : pour qu'obéir ait un sens, il faut qu'existe la possibilité de désobéir. Kant se serait acquitté d'une tâche théologique, celle d'innocenter Dieu en faisant porter à l'homme la responsabilité du mal. Si l'homme fait le mal volontairement, Dieu se trouve par là-même hors de cause ! Pour Nietzsche être libre c'est être capable de résister. La liberté est la force de la volonté de puissance.

 

Conclusion

 

· La liberté est une une notion métaphysique et morale : on ne naît pas libre, mais apte à le devenir :
- le libre arbitre est l'aptitude métaphysique à la liberté

- Etre libre est la conquête morale de l'autonomie

· Vérité des perspectives spinoziste et nietzschéenne : "L'homme n'est pas un empire dans un empire ". Le spinozisme, héritier de la vérité la plus haute du cartésianisme : la plus haute figure de la liberté réside dans le consentement à l'ordre (rationnel) des choses. IL Y A UN ORDRE AUQUEL CONSENTIR. Mais l'ordre à vouloir n'est pas l'ordre naturel (Natura de Spinoza, Vie de Nietzsche); il s'agit d'un ordre ordre idéal (celui d'un monde meilleur)

 
 
© M. Pérignon