Introduction
II. FormesA. Religieuse |
Lorsque l'on parle d'anthropologie, on pense viser sous ce terme une connaissance unifiée de l'homme. La langue ne nous trompe-t-elle pas en offrant un terme unique, celui d'anthropologie, pour désigner ce qui se dit de l'homme ? Existe-t-il une étude de l'homme ?
A. Objet
L'anthropologie est, étymologiquement, l'étude l'être humain, homme et femme.
B. Origine
Avant de chercher à se connaître, l'homme s'est d'abord préoccupé du monde qui l'entoure, dont il se sent radicalement dépendant. Ainsi, les philosophes présocratiques étaient essentiellement des physiciens, à la recherche d'un principe susceptible d'expliquer la nature.Socrate détourne l'attention de ses contemporains des spéculations portant sur la nature pour la tourner vers eux-mêmes, en leur faisant un devoir de se connaître eux-mêmes afin d'exceller en humanité. Ses préoccupations sont essentiellement éthiques.
C. Nature
La place prédominante accordée aux sciences depuis l'âge classique a conduit à ne plus considèrer, au XXe siècle, l'anthropologie que comme une étude scientifique de l'homme, de son corps (anthropologie physique) comme de sa vie culturelle (anthropologie culturelle, encore appelée ethnologie). On ne saurait toutefois négliger les autres formes, plus originaires, de l'interrogation de l'homme sur lui-même.
A. Religieuse
Lorsque les religions parlent de l'homme, elles le font en le reliant à plus grand que lui, dont il dépend, qu'il s'agisse de dieux, d'esprits plus ou moins diffus dans la nature ou d'un Absolu transpersonnel. Leur discours se veut édifiant.Le langage que les religions adoptent pour enseigner à l'homme comment se conduire en homme est de nature symbolique, le plus souvent mythique. Les mythes (ou autres récits signifiant à l'homme sa condition) remplissent une double fonction théorique (expliquer la condition humaine) et pratique (fonder les rites en justifiant la conduite à tenir).
L'anthropologie religieuse a l'avantage de donner à comprendre la condition humaine en utilisant un langage évocateur, direct, qui parle à l'intelligence en passant par le coeur. Ainsi en va-t-il, par exemple, des paraboles dans les Évangiles. Cf. cours sur la personne, parabole du bon samaritain. Son inconvénient majeur est de ne pas justifier son enseignement, qui repose sur une expérience spirituelle, le plus souvent millénaire.
Le langage religieux sera progressivement relayé en Grèce, au Ve siècle av. J.-C., par un langage qui se voudra fondé en raison. Cours sur la philosophie
Lorsque les ethnologues contemporains se pencheront sur les civilisations passées, ils accorderont la plus haute importance au mythe, et autres formes de langage religieux, par lesquels l'homme exprime la compréhension qu'il a de lui-même. Ainsi, Claude Lévi-Strauss consacre-t-il la quasi totalité de son oeuvre d'anthropologue à l'étude des mythes.
B. Philosophique
L'essentiel de la réflexion de la philosophie porte sur " l'homme, sa vie et ses oeuvres ", pourrait-on dire.Pour penser la condition humaine la philosophie use d'un langage rationnel, de nature conceptuelle et argumentatif. Cf. cours sur la philosophie
Comme on le voit avec Socrate (cf. supra) la connaissance à laquelle la philosophie essaie de tendre concernant l'homme n'est pas uniquement théorique. Elle est également pratique : la philosophie (recherche de la sagesse) cherche à savoir comment l'homme peut se conduire intelligemment (conformément à sa nature). Le fameux "Connais-toi toi-même", repris par Socrate au culte rendu à Apollon au temple de Delphes est une incitation à la fois à la lucidité et à la rectitude de la conduite !
Philosopher, c'est "vivre les yeux ouverts" , comme le dit Descartes dans la Préface de ses Principes de la philosophie. Pour y parvenir les philosophes se demandent en quoi consiste l'humanité de l'homme. Ainsi, par exemple, au siècle des Lumières, Rousseau développe-t-il l'idée, stimulante selon laquelle l'homme est un être perfectible, sujet de son destin. Il le fait en construisant, entre autres, les concepts d'état de nature et d'état social ainsi que le concept de souvenraineté. Plus près de nous, Jean-Paul Sartre donne à penser dans la voie ouverte par Rousseau que "l'existence précède l'essence". Cf. cours sur l'existence.
Pour la pensée antique et classique, l'homme se reçoit des dieux ou de la nature : il a un destin à assumer. Pour la pensée moderne, inaugurée ici par Rousseau, il revient à l'homme de se définir lui-même. L'homme acquiert ainsi la conscience d'être un sujet
C. Scientifique
L'homme peut faire l'objet d'une approche non seulement religieuse et philosophique, mais aussi scientifique.Le langage dont se sert la science pour parler de l'homme est un langage qui se veut "objectif". Elle prétendent ne rien dire de l'homme qui ne s'appuie sur l'observation du comportement humain.
Les différentes sciences qui cherchent à rendre compte du comportement humain sont , par ordre de constitution, la sociologie, la psychologie, et l'ethnologie.
L'homme ne l'objet d'une approche délibérément scientifique que depuis la fin du XIXème siècle.
Les sciences humaines - tentées de remplacer la philosophie au milieu du XXème siècle - se heurtent à plusieurs difficultés, qui leur interdissent en droit et en fait de tenir un discours aussi scientifique qu'elles le souhaiteraient.
Voici les principales :L'homme est libre. Comment dès lors prétendre expliquer sa conduite sans trahir la spécificité de son comportement ? Un comportement libre n'est-il pas a priori imprévisible ?L'homme est en devenir. Comment dès lors tenir un discours universel à son sujet ? Peut-on, par exemple, parler de psychologie féminine alors que le comportement féminin est vraisemblablement plus culturel que naturel. Cours sur nature et culture.
Chaque individu est unique. Comment dès lors parler des lois du comportement humain ? Ne dit-on pas, par dérision, du psychologue qu'il ne comprend rien au comportement de sa femme !
L'objet et le sujet de la connaissance sont les mêmes! Peut-on attendre d'un homme, concerné par ce qu'il dit de lui-même, une totale objectivité. Un sociologue peut-il faire abstraction de ses convictions politiques? Que serait, par exemple la pensée de Bourdieu sans l'influence qu'a exercé, très tôt et longtemps, sur lui l'idéologie marxiste ?
Les sciences humaines ne parviennent pas à tenir un discours unitaire sur l'homme, invalidant ainsi le concept d'anthropologie scientifique. Une même conduite sera diversement interprétée selon qu'elle est observée d'un point de vue sociologique, psychologique ou culturel. Vous être avare ? Un psychanalyste dira que cela tient à un accident de votre évolution psychologique: vous en êtes resté au stade anal; vous êtes un "constipé psychique" ! Un sociologue mettra votre comportement au compte de votre appartenance sociale. Un ethnologue fera intervenir les schèmes de comportement symboliques, et s'interessera éventuellement à vos croyances religieuses.
S'il est des questions auxquelles la science peut répondre, il en est par ailleurs sur lesquelles ses choix méthodologiques la condamnent à garder le silence. Si la science peut parfois répondre aux questions qui portent sur le "comment" de la production des phénomènes, lorsqu'il s'agit de déterminer leur "sens", elle est radicalement incompétente. Le scientisme se trompe, en prétendant - à la suite d'Auguste Comte - donner le dernier mot à la science en matière de connaissance.
Devant l'échec, relatif certes, mais néanmoins effectif, des sciences humaines et la difficulté qu'éprouve la philosophie à passer d'un discours critique à l'élaboration d'un savoir, dont témoigne le mot même de philosophie, recherche de savoir jamais accomplie, on comprend la séduction qu'exerce aujourd'hui le discours religieux sur les penseurs contemporains soucieux d'éclairer leur recherche sur l'être humain. René Girard (Cf. Des choses cachées depuis la fondation du monde), Bernard-Henri Lévy (Cf. Le Testament de Dieu) , Marie Balmary, psychanalyste (La divine Origine) , Emmanuel Lévinas (Cf. ses lectures talmudiques), Paul Ricoeur (Soi-même comme un autre), et tant d'autres se sont tournés ces dernières années vers le texte de la Bible pour mener à bien leur investigations anthropologiques. Feront-ils école demain?
© M. Pérignon