Considéré comme le père de la philosophie occidentale, Socrate demeure un personnage énigmatique car il n'a laissé aucun écrit. Connu soit par ses détracteurs ( Aristophane, Les Nuées ) qui en font un être ridicule ou un dangereux sophiste, soit par ses disciples souvent enthousiastes ( Xénophon, Platon, Aristote ), il apparaît, dans la tradition, comme un exceptionnel éveilleur d'esprit .Platon, qui reçut son enseignement, exprime généralement sa doctrine par le truchement de Socrate, meneur de jeu de la plupart de ses dialogues. Parmi ceux-ci, l'Apologie de Socrate, le Criton et le Phédon nous donnent des renseignements sur sa vie et sa mort. Notons qu'à la fin du Banquet, Alcibiade, opposant la laideur physique de Socrate à sa beauté morale, le compare à la statue d'un Silène grotesque qui cache un dieu.
Né à Athènes d'un sculpteur et d'une sage-femme, il pratique d'abord l'art de son père et mène une existence simple auprès de Xanthippe, son insupportable épouse, jusqu'à un événement qui suscitera sa vocation philosophique : la Pythie, oracle de Delphes, ayant déclaré à un de ses amis qu'il était le plus sage des hommes, Socrate, d'abord incrédule, voulut éclairer le sens de ces paroles et commença une vie d'enquêtes auprès des Athéniens, pour découvrir en quoi résidait sa supériorité. " Tout ce que je sais conclut-il, c'est que je ne sais rien, tandis que les autres croient savoir ce qu'ils ne savent pas . " Mais cette lucidité dérangeait le conformisme intellectuel de beaucoup, et si les interminables discussions de Socrate intéressaient passionnément les jeunes gens, elles vont bientôt inquiéter les nantis, qui l'accuseront d'impiété et de corruption de la jeunesse. Il sera finalement condamné à mort au terme d'un procès où il déploiera en vain les arguments de sa défense (Apologie ).
La philosophie de Socrate est d'abord en un sens, une réponse à Anaxagore qui prétendait que l'homme n'est intelligent que parce qu'il a des mains. En réalité la supériorité de l'être humain est à chercher dans son âme intelligente, qui gouverne le corps et participe du divin. D'où un certain nombre de prescriptions. Si l'homme possède en effet une âme d'origine divine (contrairement aux croyances établies, Socrate soutient que les dieux ne souffrent pas des passions humaines), on comprendra la nécessité de la mieux connaître et l' exigence du "Connais-toi toi-même " , formule inscrite au fronton du temple de Delphes. D'autre part, la maîtrise du corps sera confortée par la croyance en l'immortalité de l'âme (cf. le Phédon de Platon). Ajoutons l'exemple de courage et de sérénité que nous donne Socrate lui-même avant de boire la ciguë : il se compare au cygne qui, au moment de mourir, chante, non de douleur, mais de joie et d'espérance.
Mais la véritable dignité de l'âme procède de la science, qui est son patrimoine authentique. Une science qui ne porte pas, comme de nos jours, sur les phénomènes du monde extérieur : Socrate prend même position contre les théoriciens de la nature qui n'ont pas le sens de l'humain - et aussi, d'ailleurs, contre les sophistes qui ne possèdent pas, à l'inverse, le sens de la science. En combinant les principes acceptables de la physique et de la sophistique - la forme scientifique de la première et le souci des choses humaines de la seconde - il constitue la sagesse ou science morale qui est au centre de sa démarche. Renonçant à comprendre l'univers, l'esprit doit descendre en lui-même pour dégager les vérités qui sommeillent en lui à l'état de virtualités (théorie platonicienne de la réminiscence ), et il sera ainsi capable de maîtriser le savoir sans soumission aux choses extérieures (comme le montreront Descartes et Kant). Rejetant ce qui émane des sens et des passions individuelles, la science portera sur la nature humaine dans ce qu'elle a d'universel,en un mot sur les concepts,dont Socrate est le véritable découvreur. Par induction, on parvient de la sorte à dégager des essences et à les exprimer par des définitions : ainsi Socrate - préparant la théorie platonicienne de l 'Idée s'efforce-t-il de définir par exemple le courage (Lachès) ou l'amitié (Lysis) ou l'art de bien vivre qui donne accès au bonheur (selon la tradition antique, le bien, c'est le bonheur) dépend de la science de l'âme qui, déjouant l'habileté des sophistes, démasque l'aveuglement des hommes, trop souvent préoccupés de choses inutiles (richesse, réputation, etc.) et se désintéressant de l'essentiel, c'est-à-dire de la vérité dont leur âme est porteuse. Cette science commence par un travail de purification (déjà proposé par les orphiques et les pythagoriciens) qui consiste à se dépouiller des opinions reçues, elle met alors en évidence diverses qualités (tempérance, justice, etc.) qui se transformeront en vertus si l'on en use convenablement. En fait, la connaissance exacte du bien (qui est en même temps l'avantageux) déclenchant une tendance irrésistible à son accomplissement, conduit nécessairement à la vertu : " Nul n'est méchant volontairement ", sinon par ignorance. Le méthode utilisée exclut toute révélation extra-intellectuelle - le démon socratique est force de dissuasion, non de création - et obeit à la dialectique. A travers ses deux étapes, l'ironie et la maïeutique ou art d'accoucher les esprits, la dialectique permet à Socrate de dégager - dans un climat d'amitié - les points d'accord entre interlocuteurs, c'est-à-dire les vérités reconnues universellement selon l'exigence de la raison.
Fondateur de la philosophie morale et premier théoricien de l'intellectualisme (ce qui lui vaudra l'hostilité de Nietzsche), apôtre de la liberté de jugement et de la réflexion personnelle, Socrate a servi d'exemple à l'ensemble de la tradition philosophique.
Cf. Durozoi, Dictionnaire de philosophie, Nathan
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