Des fonctions qui appartiennent au prince, par rapport à la milice.

« La guerre, les institutions et les règles qui la concernent sont le seul objet auquel un prince doive donner ses pensées et son application, et dont il lui convienne de faire son métier: c'est là la vraie profession de quiconque gouverne , et par elle, non seulement ceux qui sont nés princes peuvent se maintenir, mais encore ceux qui sont nés simples particuliers peuvent souvent devenir princes. C'est pour avoir négligé les armes, et leur avoir préféré les douceurs de la mollesse, qu'on a vu des souverains perdre leurs Etats. Mépriser l'art de la guerre, c'est faire le premier pas vers sa ruine; le posséder parfaitement, c'est le moyen de s'élever au pouvoir. Ce fut par le continuel maniement des armes que Francesco Sforza parvint de l'état de simple particulier au rang de duc de Milan; et ce fut parce qu'ils en avaient craint les dégoûts et la fatigue que ses enfants tombèrent du rang de duc à l'état de simples particuliers. Une des fâcheuses conséquences, pour un prince, de la négligence des armes, c'est qu'on vient à le mépriser; abjection de laquelle il doit sur toute chose se préserver, comme je le dirai ci-après..»

Machiavel, Le Prince, Chap. XV

 

De la cruauté et clémence et quel est le meilleur d'être aimé ou craint.

«Descendant aux autres qualités ci-dessus nommées, je dis que tout Prince doit grandement souhaiter d'être estimé pitoyable et non pas cruel; néanmoins il doit bien prendre garde de n'appliquer mal cette miséricorde. César Borgia fut estimé cruel: toutefois sa cruauté a réformé toute la Romagne, l'a unie et réduite à la paix et fidélité. Ce que bien considéré, il se trouvera avoir été beaucoup plus pitoyable que le peuple florentin qui, pour éviter le nom de cruauté laissa détruire Pistoia. Le Prince, donc, ne se doit point soucier d'avoir le mauvais renom de cruauté pour tenir tous ses sujets en union et obéissance; car, faisant bien peu d'exemples, il sera plus pitoyable que ceux qui, par être trop miséricordieux, laissent se poursuivre les désordres, desquels naissent meurtres et rapines car ceci nuit ordinairement à la généralité, mais les exécutions qui viennent du Prince ne nuisent qu'à un particulier. Entre tous les Princes, c'est au Prince nouveau qu'est impossible d'éviter le nom de cruel, parce que les nouveaux États sont pleins de périls. Et de là Virgile, par la bouche de Didon, dit: «Res dura, et regni novitas me talia cogunt / Moliri, et late fines custode tueri». Toutefois il ne doit pas croire ni agir à la légère, ni se donner peur soi-même, mais procéder d'une manière modérée, avec sagesse et humanité, de peur que trop de confiance ne le fasse imprudent et trop de défiance ne le rende insup-portable. »

Machiavel, Le Prince, Chap. XVII

 

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