La violence
- Définition- Formes
- Questions
A. La violence, réalité institutionnelle?II. Explications de la violence
A. La violence, marque de l'animalité première de l'homme?Conclusion: la violence confisquée
Complément: L'alternative non-violente
INTRODUCTION
a) Définition
Délicate...Définir la violence à la suite de Freund, par ex., comme étant une "explosion de puissance qui s'attaque directement à la personne et aux biens des autres en vue de dominer soit par la mort, par la destruction, la soumission ou la défaite" conduit à limiter la violence aux actes de violence et laisse échapper les "situations de violence", en justifiant ainsi les violences latentes, institutionnelles ou "situationnelles".
Définir la violence en l'identifiant à tout ce qui, d'une manière ou d'une autre, a pour effet d'exercer une pression sur quelqu'un conduit à la confondre avec la force et à défendre un anarchisme inavoué.
Aussi, pour éviter tout préjugé, est-il préférable de s'en tenir à l'étymologie.
Étymologiquement, la violence est liée à la force (vis) et elle l'est sémantiquement au "viol" (faire violence).
La violence pourrait être définie comme étant ce qui porte atteinte à l'intégrité des personnes par le moyen de la force. Cf. Ricoeur, dans Soi-même comme un autre, (1990) p.187, définit la violence "en tant que destruction par quelqu'un d'autre de la capacité d'agir d'un sujet."
b) Formes
On peut distinguer essentiellement quatre espèces de violence, qui sont autant de manières pour elle de s'exercer:- physique (ex. meurtres, attentats ... + sévices...)
- psychologique (appelée morale. Ex. torture par isolement chantage affectif..)
- économique (ex. exploitation)
- politique (ex. terreur, totalitarisme, génocides...)
N.B. Au principe de cette répartition, on trouve les grandes formes de vie (biologique, psychologique, sociale)
c) Questions posées
Elles sont essentiellement de deux ordres, et au nombre de deux :- l'une concerne la réalité de la violence et porte sur son homogénéité;
- l'autre concerne l'usage qui peut en être fait et porte sur sa légitimité.
. Dans le premier cas, la question est de savoir si la diversité constatée est essentielle, s'il existe un phénomène de la violence conceptuellement assignable. (Il s'agit somme toute de savoir si l'on est en droit de parler de violence en général.)
. Dans le second cas, la question posée est de savoir s'il n'y aurait pas un usage rationnel de la violence, reconnue par ailleurs comme étant irrationnelle.
Cette question est posée sur la base du constat selon lequel la dénonciation prioritaire de certains aspects de la violence serait en relation avec des attitudes éthiques et politique, en jouant le rôle de technique d'accès ou de maintien au pouvoir.
I. La question de la nature de la violence, et ses implications théoriques
A. La violence, réalité seconde, institutionnelle?
Du fait qu'elle s'exerce dans le cadre des relations humaines, que réglementent les lois, la violence peut sembler seconde par rapport à l'institution des lois, un peu comme si elle en découlait.Ainsi, on parlera de meurtre parce que, semble-t-il, la loi fait interdiction de donner la mort.
- Commettre un meurtre, c'est en quelque sorte violer la loi qui en fait interdiction.
- On ne dira pas de meurtre pour qualifier l'acte d'un soldat qui accomplit son devoir en abattant un ennemi!
De là à penser que la violence est subversive, qu'elle est toujours - à quelqu'égard - terroriste, il n'y a qu'un pas, que l'on peut être tenté de franchir, et que franchissent systématiquement les anarchistes.
Qui dit violence (tant physique, que psychologique, économique et politique) dit en effet atteinte portée à l'ordre social, assuré par l'application de la loi, dont les hommes attendent habituellement qu'elle organise leurs relations.
B. La violence, réalité première, naturelle?
Ce que l'on nous venons de dire de la "subversivité" de la violence pourrait inciter à conclure au caractère second de celle-ci par rapport à la loi, qu'elle viendrait mettre en danger.On peut se demander si ce n'est pas la violence qui est première et la loi qui est seconde. La violence n'appelle-t-elle pas la loi pour la contenir, l'endiguer ou la juguler?
Cf. Platon, Gorgias
Cf. Hobbes, et sa théorie du contrat social
Cf. Freud
Problème conséquent:
Comment rendre compte de la violence: doit-on y voir une donnée de la nature humaine ou un produit de l'existence socio-culturelle ?
II. De l'éthologie à l'ethnologie.
Explications de la violence.
Essayons d'y voire clair, et pour cela examinons les analyses en présence.
A) Du côté de l'éthologie.
Pour expliquer la violence, on peut de reporter aux travaux des éthologues, en particulier à ceux de K. Lorenz, auteur d'études tout-à-fait remarquables sur l'agressivité.Que nous apprennent les éthologues?
Que tout, dans le comportement de l'homme, ne saurait être considéré comme étant régi par la loi ou les moeurs, une part de celui-ci leur échappant. Cette part serait déterminée par des pulsions naturelles.
La violence serait ainsi, en l'homme, la marque de son animalité première : il subsisterait en l'homme une agressivité originelle.
Or celle-ci non seulement, à la différence de l'agressivité animale, ne rencontrerait pas dans l'homme les inhibitions qui empêchent les animaux de s'entre-détruire, mais encore elle "bénéficierait", du fait de l'évolution sociale et technique, de moyens autrement efficaces de se satisfaire.
Cf. Engels
Cf. H. Laborit, constatant à propos de l'homme que "aucun autre mammifère ne tue les membres de son espèce".
Cette explication, celle des éthologues, pour éclairante qu'elle soit, n'épuise pas la signification de la violence dont le jeu (social) est beaucoup plus complexe que ne le laisse entendre une telle explication.
Reste qu'elle permet de faire la différence entre l'usage pur et simple de la force à des fins utilitaires, pour des raisons vitales, tel que le comportement animal permet de l'observer, et l'exercice, incontrôlé, irrationnel, aveugle, de la violence.
Voyons en quoi la signification de la violence peut être précisée par d'autres analyses (que celles des éthologues).
B) La violence et le sacré
Le recours aux analyses de Bataille permet d'éclairer ce que l'on pourrait appeler la violence culturelle par opposition à la violence naturelle, objet des analyses éthologistes.La thèse de Georges Bataille est la suivante: la violence est transgression de la loi (de l'ordre, de la rationalité assimilés par Bataille au profane), sorte de défoulement. Mais la transgression opérée par la violence n'est pas "retour pur et simple à l'absence de lois", donc à la "nature". Elle est réglée, codifiée dans de pratiques qui mettent en relation avec le sacré (ex. sacrifices, transes, supplices expiatoires).
Si Bataille a le mérite d'éclairer la violence d'un jour nouveau, c'est à Girard que reviendra le soin de mener à bien les recherches tant ethnologique que sociales et psychologiques qui en éclaireront la genèse partir de la notion de mimétisme d'appropriation. Cf. Des choses cachées depuis la fondation du monde.
C) L'exemple de Sade
Après avoir décrit et tenté d'expliquer la violence, et avant de conclure sur la relation du pouvoir à la violence, évoquons pour finir l'oeuvre de Sade.Que montre l'oeuvre de Sade?
Elle permet de souligner deux aspects du vécu de la violence:
1. Que la violence ne peut se donner libre cours qu'en dehors de l'espace social, dans un monde à part, parce qu'elle est la négation du rationnel et de la contrainte sociale.
2. Que "la violence, au-delà d'elle-même, ... cherche la conscience".
L'organisation sociale ne peut qu'interdire le déchaînement de la violence et elle en peut le faire qu'en la confisquant à son profit.
Nous nous trouvons ainsi en présence d'une violence officielle, légitimée par la nécessité l'assurer et le maintenir l'ordre social, dont la justice est le gardien.
Ce qui, ainsi qu'on nous le fait observer, donne à penser que le droit est lié à l'exercice toujours possible d'une violence officielle et légale. Mais est-ce bien de violence qu'il s'agit alors encore?
1. Le refus du "cycle infernal" de la violence.
- Dès l'aube de la réflexion philosophique, le droit est opposé à la force, la loi humaine à la loi de la jungle. "Que se passe-t-il quand la force fait la loi?" demande Lao-Tseu en Chine au VIème siècle av. J.-C "La réponse est simple: les grands attaquent les petits, les forts dépouillent les faibles, les rusés trompent les simples, les jeunes raillent les vieux."
- Une des sources spirituelles de la religion est la volonté de créer entre les hommes un lien nouveau et spécifiquement humain (par la médiation de l'adoration commune d'une transcendance ) et par-là de remplacer la violence par l'amour et la paix. Les premiers convertis des religions mystiques (confucéisme, bouddhisme, stoïcisme et christianisme) étaient partisans de ne pas répondre à l'injure par l'injure, à la violence par la violence, à la guerre par la guerre. Le sage ou le saint sont non-violents.
- A travers le monde, et son histoire, les penseurs religieux ou laïcs sont nombreux à avoir dénoncé la guerre et la violence; citons quelques noms: Michel de l'Hospital, Montaigne et Erasme au XVIème siècle, les Quakers et Coménius au XVIIème siècle Kant et son projet de paix perpétuelle en 1795 Condorcet, Fichte puis Tosltoï, Henri Dunand, Jaurès au XIXème et surtout Gandhi au XXème siècle. Gandhi fut l'apôtre de la non-violence comme moyen efficace de lutte contre la violence. Au cours de ses luttes en Afrique du Sud pour revendiquer l'égalité des droits civils en faveur des habitants hindous, il applique la tactique de la "Satyagraha" (refus d'obéissance civile avec acceptation passive des sanctions) et remporte une éclatante victoire politique. Aux Indes, à partir de 1919, il lutte par les mêmes méthodes contre le colonialisme britannique, entraînant derrière lui, par son rayonnement spirituel, les foules non-violentes, dont la résolution passive "faisait tomber les fusils des mains des soldats".
2. L'image de la vraie force
L'engagement dans la non-violence ou la désobéissance civile comme moyen de lutte pour les valeurs capables de mobilier les esprits est tout à fait différent du désengagement social que traduit la formule hippie "Faites l'amour, pas la guerre."
Alors que le violent est au fond une faible qui désespère de pouvoir convaincre l'autre sans forcer son adhésion, sans lui démontrer sa puissance, le non-violent est un homme authentiquement fort, confiant dans sa force respectueux de son adversaire, se refusant à tout combat qui n serait pas loyal, sans coups bas.
Le violent intimide son adversaire, exerce son pouvoir par la peur, voir la terreur. Le non-violent est celui qui ne se laisse pas intimider, qui ne se laisse pas envahir par la peur et ne se fait pas, ainsi, le complice de son tortionnaire, n'entre pas dans son jeu.
© M. Pérignon