Tout ami attentif des abeilles s'apercevra vite qu'elles doivent avoir un moyen de communiquer entre elles. Il remarquera, par exemple, qu'un pot de miel peut rester en plein air des jours entiers sans attirer leur attention. Mais si une seule d'entre elles le découvre au bout de très peu de temps, des douzaines puis des centaines de ses compagnes de ruche arrivent sur place pour participer au butin. Il faut donc qu'elle en ait parlé à la maison ! Comment ? Impossible de s'en rendre compte dans une ruche ordinaire. Mais on construit des ruches d'observation dans lesquelles il est aisé de suivre, à travers une fenêtre vitrée, les allées et venues des abeilles. (...)

Plaçons au voisinage d'une de ces ruches d'observation une petite coupe de verre pleine de miel et attendons qu'une des abeilles la trouve. Marquons alors celle qui a fait la découverte d'une petite tache de couleur et observons-la après son retour à la ruche. Elle remonte les rayons, puis s'immobilise un instant, livre son butin sucré à ses congénères et (...) se livre à une véritable ronde, décrivant à petits pas rapides des cercles vers la droite, puis vers la gauche, alternativement. Elle répète sa danse à différents endroits des rayons puis se précipite sur le trou de vol pour retourner vers le butin. Ce manège a mis les abeilles voisines dans un état de grande excitation.

Elles emboîtent le pas à la danseuse, maintenant leurs antennes en contact avec son abdomen; puis elles se dirigent vers le trou de vol et abandonnent la ruche. Peu après les premières d'entre elles apparaissent près de la coupe de miel. (...)

Il ressort de cette expérience que les danseuses de la ruche annoncent non seulement la présence du butin, mais également l'espèce de fleurs dans laquelle il faut le chercher. Elles n'ont pas, pour cela, à prononcer le moindre mot. Lorsqu'elles recueillent l'eau sucrée des fleurs, le parfum de celles-ci reste imprégné à leurs poils et les compagnes de ruche qui, sur les rayons, les escortent dans leur danse, maintenant leurs antennes au contact de leur abdomen, remarquent ce parfum et savent quelles fleurs elles doivent chercher pour parvenir à la même source. (...) Mais [la danseuse] leur fournit également d'autres informations (...) grâce à sa manière de danser. (...) Si le butin se trouve dans le voisinage immédiat de la ruche, on observe la ronde décrite précédemment (...) Si le butin est à 100 ou plus de 100 mètres de la ruche, la ronde fait place à une danse frétillante. L'abeille décrit un demi-cercle puis revient en ligne droite, repart en demi-cercle du côté opposé pour revenir de nouveau en ligne droite à son point de départ et ainsi de suite. Pendant son trajet rectiligne, elle frétille rapidement de la pointe de l'abdomen. Cette danse a un rythme particulier qui varie suivant la distance à laquelle se trouve le butin. Plus le chemin à parcourir est long, moins elle comporte de tours en une minute conformément à une règle si bien établie que, montre en main, on peut dire exactement de quelle distance la pourvoyeuse rapporte son butin. Les compagnes de ruche comprennent le message, car elles s'en vont faire leurs recherches à la distance indiquée. (...)

Ainsi, l'activité de la ruche se trouve réglée, pour le plus grand bien de la colonie, grâce à un langage par signes qui ne saurait être ni plus clair ni plus efficace.

 

Karl Von Frisch, l'homme et le monde vivant, p. 241 

 

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