Pour l'homme religieux, la Nature n'est jamais exclusivement "naturelle": elle est toujours chargée d'une valeur religieuse.Ceci s'explique puisque le Cosmos est une création divine: sorti des mains des dieux, le Monde reste imprégné de sacralité.(...)
(Ainsi) le Ciel révèle directement, "naturellement" la distance infinie, la transcendance du dieu. La Terre, elle aussi, est "transparente": elle se présente comme terre nourricière universelle. Les rythmes cosmiques manifestent l'ordre, l'harmonie, la permanence, la fécondité (...)
Un Prophète indien, Smohalla, chef de la tribu Wanupum, refusait de travailler la terre. Il estimait que c'était un péché de blesser et de couper, de déchirer ou de griffer "notre mère commune" par des travaux agricoles. Et il ajoutait: "Vous me demandez de labourer le sol? Irais-je prendre un couteau pour le plonger dans le sein de ma mère? Mais alors, lorsque je serai mort, elle ne me reprendra plus dans son sein. Vous me demandez de bêcher et d'enlever les pierres? Irai-je mutiler ses chairs afin d'arriver à ses os? Mais, alors, je ne pourrai plus entrer dans son corps pour naître de nouveau. Vous me demandez de couper l'herbe et le foin et de le vendre, et de m'enrichir comme les Blancs? Mais comment oserais-je couper la chevelure de ma mère?"
Ces paroles ont été prononcées il y a moins d'un siècle, mais elles nous arrivent de très loin. L'émotion que l'on ressent à les entendre tient surtout à ce qu'elles nous révèlent, avec une fraîcheur et une spontanéité incomparables, l'image primordiale de la Terre-Mère. Cette image, on la rencontre partout sous des formes et des variantes innombrables. C'est la Terra Mater ou la Tellus Mater bien connue des religions méditerranéennes, qui donne naissance à tous les êtres...
M. Eliade, Le sacré et le profane, chap III (Idées pp.97s)