Platon dit en se jouant qu'amour est fils de richesse et de pauvreté, et dit une grande chose Chacun voit des drames d'amour, et s'étonne que la plus médiocre Célimène puisse amener un homme noble à des actions de fou. Or c'est la richesse qui fait le pire mal; richesse, j'entends noblesse, puissance sur soi, haute idée du héros et de l'amour. Si l'homme ne souffrait que de pauvreté et besoin d'une Célimène, le mal serait bientôt guéri. Mais le besoin n'est pas l'amour, et le désir non plus n'est pas l'amour L'amour est une ambition qui méprise les petits moyens, et qui veut se faire reconnaître par une autre puissance.

C'est pourquoi chacun veut que l'autre puissance soit hautaine et difficile, et toujours la grandit, et presque toujours l'estime trop, et souffre de la voir diminuée. Il y a ce genre de déception dans la jalousie. De là vient que l'on méprise toujours un peu en soi-même, et que l'on hait dans le rival, ces avantages extérieurs auxquels la puissance hautaine ne devrait pas seulement faire attention. Il n'y a rien de pis que si l'on découvre faiblesse, esclavage, dépendance, aveuglement, sottise, en celle que l'on voulait séduire. Car on la veut faible, mais pour soi seul, et librement faible. Tel est le Jeu de l'amour entre le chevalier et sa dame...

Plus souvent il veut se consoler par la facile conquête de ce qu'il voit tellement au-dessous de lui mais il se trompe encore là, tantôt méprisant trop, tantôt estimant trop, et toujours humilié. C'est alors qu'il se tourne et retourne la nuit comme un malade, mâchant et goûtant la servitude. Ainsi, moins la femme vaut, et mieux le drame se noue. Je retrace la passion de l'homme; celle de la femme s'explique vraisemblablement par les mêmes causes. C'est pourquoi il ne faut point s'étonner si une femme indigne est aimée jusqu'à la fureur; ce n'est point l'exception, c'est la règle.

 

Alain, Propos 

 

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