De même que les branches d'un arbre, qui sont demeurées ployées d'une certaine façon, conservent quelque facilité pour être ployées de nouveau de la même manière: ainsi les fibres du cerveau ayant une fois reçu certaines impressions par le cours des esprits animaux, et par l'action des objets, gardent assez longtemps quelque facilité pour recevoir ces mêmes dispositions. Or la mémoire ne consiste que dans cette facilité; puisque l'on pense aux mêmes choses, lorsque le cerveau reçoit les mêmes impressions.

Comme les esprits animaux agissent tantôt plus, et tantôt moins fort sur la substance du cerveau, et que les objets sensibles font des impressions bien plus grandes que l'imagination toute seule, il est facile de là de reconnaître pourquoi on ne se souvient pas également de toutes les choses que l'on a aperçues. Pourquoi, par exemple, ce que l'on a aperçu plusieurs fois se présente d'ordinaire à l'âme plus nettement que ce que l'on n'a aperçu qu'une ou deux fois. Pourquoi on se souvient plus distinctement des choses qu'on a vues que de celles qu'on a seulement imaginées: et ainsi, pourquoi on saura mieux, par exemple, la distribution des veines dans le foie, après l'avoir vue une seule fois dans la dissection de cette partie qu'après l'avoir lue plusieurs fois dans un livre d'anatomie, et d'autres choses semblables.

Malebranche, De la Recherche de la vérité (1674-1712),
Livre 11, 1ère partie, ch. V, §111
 

 

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