Quelle force dans la mémoire ! C'est un je ne sais quoi, digne d'inspirer un effroi sacré, ô mon Dieu, que sa profondeur, son infinie multiplicité ! Et cela, c'est mon esprit; et cela, c'est moi-même ! Que suis-je donc, ô mon Dieu ? Quelle est mon essence ? Une vie variée, multiforme, d'une immensité prodigieuse.

Voyez, il y a dans ma mémoire des champs, des antres, des cavernes innombrables, peuplées à l'infini d'innombrables choses de toute espèce, qui y habitent, soit en images seulement, comme pour les corps; soit en elles-mêmes, comme pour les sciences; soit sous forme de je ne sais quelles notions ou notations, comme pour les affections de l'âme, que la mémoire retient, alors même que l'âme ne les éprouve plus, quoiqu'il n'v ait rien dans la mémoire qui ne soit dans l'esprit. A travers tout ce domaine, je cours de ci de la, je vole d'un côté puis de l'autre, je m'enfonce aussi loin que je peux: de limites nulle part ! Tant est grande la puissance de la mémoire, tant est grande la puissance de la vie chez l'homme, qui ne vit que pour mourir!

 

Saint Augustin, Confessions Livre X 

 

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