- Je disais en conséquence que les objets de ce genre sont du domaine intelligible, mais que, pour arriver à les connaître, l'âme est obligée d'avoir recours à des hypothèses: qu'elle ne procède pas alors vers un principe - puisqu'elle ne peut remonter au-delà de ses hypothèses - mais emploie comme autant d'images les originaux du monde visible, qui ont leurs copies dans la section inférieure, et qui, par rapport à ces copies, sont regardés et estimés comme clairs et distincts.

- Je comprends que ce que tu dis s'applique à la géométrie et aux arts de la même famille.
- Comprends maintenant que j'entends par deuxième division du monde intelligible celle que la raison même atteint par la puissance de la dialectique, en faisant des hypothèses qu'elle ne regarde pas comme des principes, mais réellement comme des hypothèses, c'est-à-dire des points de départ et des tremplins pour s'élever jusqu'au principe universel qui ne suppose plus de condition; une fois ce principe saisi, elle s'attache à toutes les conséquences qui en dépendent, et descend ainsi jusqu'à la conclusion sans avoir recours à aucune donnée sensible, mais aux seules idées, par quoi elle procède, et à quoi elle aboutit.
- Je te comprends un peu, mais point suffisamment - car il me semble que tu traites un sujet fort difficile; tu veux distinguer sans doute, comme plus claire, la connaissance de l'être et de l'intelligible que l'on acquiert par la science dialectique de celle qu'on acquiert par ce que nous appelons les arts, auxquels des hypothèses servent de principes; il est
vrai que ceux qui s'appliquent aux arts sont obligés de faire usage du raisonnement et non des sens: pourtant, comme dans leurs enquêtes ils ne remontent pas vers un principe, mais partent d'hypothèses, tu ne crois pas qu'ils aient l'intelligence des objets étudiés, encore qu'ils l'eussent avec un principe; or tu appelles connaissance discursive, et non intelligence, celle des gens versés dans la géométrie et les arts semblables, entendant par là que cette connaissance est intermédiaire entre l'opinion et l'intelligence.
- Tu m'as très suffisamment compris, dis-je. Applique maintenant à ces quatre divisions les quatre opérations de l'âme: l'intelligence à la plus haute, la connaissance discursive à la seconde, à la troisième la foi, à la dernière l'imagination; et range-les en ordre en leur attribuant plus ou moins d'évidence, selon que leurs objets participent plus ou moins à la vérité
- Je comprends, dit-il; je suis d'accord avec toi et j'adopte l'ordre que tu proposes.

 

PLATON, La République, livre 6, 511a-511e

 

 

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