Originaire d'Elis, ville située au Nord-Ouest du Péloponèse, Hippias, contemporain de Socrate, est un sophiste.
Le sophiste, c'est d'abord un éducateur rétribué.
Il prétend à un savoir encyclopédique et veut substituer à un ancien mode de formation de la jeunesse une "culture" plus intellectuelle, visant à faire des citoyens et non plus, comme ceux des siècles précédents, des guerriers et des athlètes.
Née en Sicile, la rhétorique sophistique trouve son plein épanouissement à Athènes lorsque le régime populaire est consolidé. A l'Assemblée, devant les tribunaux, sur l'agora, la parole joue un rôle décisif, et l'individu qui sait faire des discours et provoquer la conviction chez ses auditeurs réussit plus aisément que celui qui compte sur sa naissance et ses vertus. La nécessité d'un savoir se fait sentir qui porte aussi bien sur la technique du discours que sur les connaissances générales susceptibles d'éclairer une démonstration ou une réfutation. Devenu citoyen, l'individu recherche les moyens qui lui permettent de participer efficacement à la vie politique et fait bon accueil à ces gens au langage sonore qui parlent savamment de toutes choses. Las sophistes viennent ainsi occuper dans la cité une place vide et y jouer un rôle capital; si bien que les aristocrates, pour reprendre le rang que leur enlève la constitution populaire, suivent en foule ces cours et que les jeunes abandonnent l'équitation pour se mettre à "penser" .
Aussi bien, ce qui importe dans la sophistique, c'est moins le contenu de son enseignement que l'esprit qui l'anime. La "théorie" des sophistes se réduisait, semble-t-il, à fort peu de choses Les deux formules célèbres de Protagoras: "l'homme est la mesure de toutes choses" (Platon Théétète, 152a). "Les dieux, je ne puis dire qu'ils sont ni qu'ils ne sont pas, ni de quelle nature ils sont. Beaucoup de choses empêchent qu'on le sache: et l'obscurité de la question et la brièveté de la vie humaine" (Platon, Théétète, 162d) expriment bien sans doute l'humanisme relativiste et sceptique qui était au fond de leur attitude refusant toute transcendance, toute "valeur" posée comme absolue, ils insistent sur l'importance des techniques.
Non seulement le "maître à penser" se vante de posséder des connaissances encyclopédiques, mais encore il déclare qu'il est lui-même un technicien aux savoir-faire multiples (Hippias se présentait à ses auditeurs "ayant ouvré lui-même tout, sans exception, ce qu'il avait sur le corps" Platon, Hippias mineur, 368d) Contrairement à Platon, qui s'efforça constamment de séparer le savoir du savoir-faire et de marquer la vanité des arts, le sophiste lie étroitement "polymathie" et "polytechnique" et se fait l 'écho de cette culture nouvelle où l 'artisanat prend une place de plus en plus grande. L 'utilité pour l'homme apparant la seule valeur acceptable, la seule sur laquelle on puisse raisonnablement s'appuyer.
Parmi les techniques, cependant, il en est une dont le rôle est singulier: la technique de la parole. Grâce à la rhétorique telle que l'entendait les sophistes, il est possible à l 'individu de triompher dans un régime où la discussion et le discours sont les préliminaires obligés de toute décision politique et judiciaire. Aussi, cet art, qui apprend à persuader autrui et qui exige des connaissances si générales et si diverses, est-il tenu pour l'art suprême qui groupe en soi toutes les sciences particulières. Il est le moyen par lequel se réalise la "vertu politique" (capacité de participer aux affaires politiques et de juger de ce qui est juste et injuste).
D'après F. Châtelet, Platon Gallimard col. Idées p.59-61