Thème :
la beauté ?
Tout porte à croire que l'Hippias Majeur est consacré à la définition de la beauté: son prologue débouche sur la formulation de la question de savoir ce qu'est le beau et la totalité du dialogue s'efforce d'apporter une réponse satisfaisante à cette question. Aussi a-t-on donné "le beau" en sous-titre à l'Hippias Majeur, et l'ensemble des commentateurs tient-il pour admis que Socrate s'emploie avec Hippias à savoir en quoi consiste au juste la beauté.Pourtant un certain nombre d'indices obligent à reconsidérer l'idée reçue selon laquelle l'Hippias Majeur porterait sur la beauté. S'il est question de la beauté, pourquoi passer tant de temps à parler de tout autre chose avant d'entrer dans le vif de ce que serait le sujet? Le prologue, à lui seul, représente un sixième du texte total du dialogue ! Il se trouve par ailleurs que le dialogue ne répond finalement pas à la question posée.
On peut observer par contre que l'interrogation à laquelle Socrate soumet Hippias - avant de la reprendre à son propre compte - s'inscrit dans le droit fil du prologue, consacré à la sagesse des Sophistes, dont Hippias prétend être un des plus éminents représentants. En interrogeant Hippias sur le sujet du discours qu'il va tenir le soir même à Athènes ne veut-il pas, en fait, s'assurer de la compétence de son interlocuteur ?
Tout le prologue porte sur l'activité d'Hippias, le sophiste. Hippias prétend être un "sage" entre les sages de son temps, supérieur en sagesse aux sages du passé, et il semble bien que nul (hormis Socrate - alias Platon - et les Lacédémoniens?) ne suspecte sa valeur. ET si la question était de savoir ce que vaut cette prétendue sagesse, en la confrontant à celle de celui que Platon tient pour le vrai sage de son temps, son maître, Socrate? Alors ... la discussion sur le beau, thème apparent du dialogue, serait le moyen de confronter, en les opposant, la vanité du prétendu et soi-disant "sophos" (Hippias) à l'authentique "sophia" du "philo-sophos" (Socrate). Ainsi L'Hippias Majeur serait, pour Platon, une machine de guerre intellectuelle au service de son combat sans merci contre les sophistes, en même temps qu'un instrument littéraire de réhabilitation de son maître, injustement condamné à mort. L'Hippias Majeur répondrait, au fond, à la question de savoir si, du Sophiste - Hippias - et du philosophe - Socrate- , le meilleur est celui qui prétend l'être. Tout porte à croire que, sous des dehors aporétiques, l'Hippias Majeur est un dialogue concluant: Hippias est un escroc: il vend un savoir qu'il ne possède pas !
La structure de l'ensemble du dialogue serait dès lors la suivante:
1er temps: sondage des prétentions d'Hippias (=prologue)
2ème temps : vérification de leur bien fondé (= dialogue), consistant à examiner si Hippias sait bien ce dont il parle. En l'occurence, lorsqu'il discourt sur les "belles" occupations auxquelles un jeune homme doit s'adonner, Hippias est-il en mesure de fonder son propos : sait-il ce qu'est le BEAU en vertu duquel les dites occupations peuvent être tenues pour belles?
Dans le cadre d'une telle lecture, les premiers mots du dialogue peuvent prendre tout leur sens, celui d'un clin d'oeil lexical de l'auteur au lecteur sur le sujet qui sera le sien. En apostrophant, dans le texte grec, Hippias, comme étant "bel et sage", Platon commence par indiquer le thème qui lui servira de prétexte, avant d'énoncer, inoniquement, celui qu'il entend aborder: le thème de la sagesse des Sophistes !
Il semble bien dès lors que la véritable question posée par l'Hippias majeur soit celle de savoir qui (d'Hippias, le sophiste, ou de Socrate, le philosophe) est véritablement sage - celui qui prétend tout savoir et ne sait rien de bon ou celui qui reconnaît humbleusement son ignorance?
© M. Pérignon