Sujet : Peut-on reconnaître à l'homme une place particulière dans la nature ?

 

Il apparaît important pour l'homme de s'identifier ; l'anthropologie en est la preuve la plus évidente. Il semble que ceci puisse se faire en se situant, c'est-à-dire en analysant quelle est sa localisation au sein de la nature.

Interrogeons-nous de ce fait afin de savoir si l'on peut reconnaître à l'homme une place particulière dans la nature.

Il faudra nous demander alors ce qui permet de distinguer l'homme des autres êtres de ce monde ou de les rapprocher. Ainsi nous verrons successivement que l'homme est un être raisonnable, un être vivant, puis finalement que c'est une créature qui ne saurait vraiment trouver sa place dans la nature.

 

La question " Peut-on reconnaître à l'homme une place particulière dans la nature ? " a pour objet l'acte de " reconnaître " à l'homme une place particulière. Cette question pose d'abord le problème de savoir s'il serait possible d'accorder, de fait, à l'homme une place au sein des êtres soumis à des lois universelles, mais aussi de savoir si nous le pouvons de droit. Il s'agit de savoir si l'homme se situe par rapport aux autres êtres vivants autrement que ces autres êtres entre eux. L'interrogation touche ici à la spécificité ontologique de l'être humain.

Remarquons deux présupposés principaux. Le premier d'ordre logique : l'homme a une place dans la nature. Le second d'ordre culturel : l'homme se sent à part, voir supérieur.

Tout semble reposer sur la notion de place : celle de l'homme est-elle particulière parce qu'il est placé à côté des autres êtres ? … N'a-t-il pas de place du tout ? … Est-ce que quelque chose en l'homme le singularise ? … Est-ce que cette différence suffit à le mettre à part ? … Il y va de l'idée que l'homme peut se faire de lui-même, de sa singularité.

On pourrait somme toute reformuler ainsi notre questionnement : est-il raisonnable d'attribuer à l'homme une position ontologique qui lui soit propre dans le règne animal, végétal et minéral ?

 

Premièrement, l'homme est raisonnable, et c'est en cela qu'il se distingue de tout autre être vivant appartenant à la nature.

Contrairement aux animaux, l'homme est doué de raison, c'est là une caractéristique distinctive majeure. La raison s'exprime dans des jugements formulés dans un langage : l'homme est un être parlant, donc doué de raison et, réciproquement, doué de raison donc parlant. Ainsi, il lui est possible de communiquer ses pensées et de vivre dans une communauté politique, et non dans une simple société comme sont capables de le faire certains groupes d'animaux, les fourmis ou les abeilles par exemple. Quelques philosophes se sont attachés à nous le montrer. On retiendra Descartes dans la cinquième partie du Discours de la méthode. Il y montre que seul l'homme peut s'exprimer de façon intentionnelle.

Grâce à sa pensée intentionnelle, l'homme peut alors se rendre " comme maître et possesseur de la nature ". De fait, il sait fabriquer des outils. Ainsi si la nature a inventé le cerveau humain, c'est l'homme qui a inventé le stylo à bille. Il possède des techniques et des arts. L'homme est ainsi capable de dominer la nature par l'utilisation qu'il peut en faire. A cette qualité propre à l'homme, s'oppose l'instinct animal, purement répétitif . Grâce à sa raison, l'homme n'est pas dépendant de son milieu comme le sont les animaux.

Mais la caractéristique principale de l'homme se donne à observer dans le fait qu'il peut comprendre le monde qui l'entoure, le dépasser et le dominer, par cela seul qu'il le connaît. On peut ici citer Pascal qui, dans la Pensée 200, qualifiait l'homme de " roseau pensant " en ajoutant que " toute notre dignité consiste donc en la pensée ". L'homme n'est plus ainsi immergé dans la nature, mais peut se retourner vers elle, et prendre ses distances à son égard par sa capacité réflexive.

Plaçons-nous à présent au point de vue où l'homme est perçu d'abord comme un être vivant.

A ce titre, l'homme a forcément une place particulière dans le monde : il est la partie d'un tout. Or, il semble que l'on puisse en dire autant de n'importe quelle partie d'un tout. Ainsi, dans une entreprise par exemple, chaque membre a une place particulière, aussi bien le chef que le simple ouvrier. Toute partie de la nature y occupe une place particulière, l'homme n'est qu'une partie de ce tout, au même titre que n'importe quel autre être vivant.

Cependant l'homme, comme nous le fait remarquer le philosophe Spinoza n'est pas un " empire dans un empire ". Cela signifie qu'il est un être soumis aux mêmes lois naturelles que tous les autres êtres : il doit se nourrir, dormir, se protéger du froid et finalement mourir. De ce fait, l'homme est soumis à la même nécessité et concourt à l'unité du tout comme le font les autres êtres.

Par ailleurs l'homme connaît même un aspect négatif qui lui est propre ; en effet il est la plus faible créature de tout l'univers. On citait tout à l'heure Pascal qui définissait l'homme comme un roseau pensant, il faut ajouter que Pascal disait aussi qu'il était " le plus faible de la nature ". Ainsi l'homme est, à la limite, un animal dénaturé, dans la mesure où il a perdu son instinct et où, par ses vices, il peut se corrompre et tomber plus bas que la bête.

Finalement, l'homme ne serait-il pas une créature ne trouvant pas sa place dans la nature ?

Sa raison donne à l'homme la possibilité d'agir librement : il peut faire des choix (par exemple le choix de préserver ou à l'inverse le choix de détruire la nature).Il est à ce titre un être appelé à adopter une conduite régie par la moralité. Le philosophe Kant, réputé pour sa philosophie morale, a imaginé que l'homme appartient de ce fait à un autre monde que le monde sensible, celui du " règne des fins ", selon sa propre expression. L'homme n'obéit en effet pas seulement aux lois de la nature, mais aussi à la loi morale. Comme être raisonnable, l'homme appartient alors à un monde soumis à d'autres lois que celles de la physique.

On peut alors concevoir l'homme comme être mixte. Sa place serait en effet à la fois dans l'un et dans l'autre de ces deux mondes, place uniquement contingente dans le monde naturel, sa véritable destination étant cet autre monde. Il n'a pas, en ce sens, de place qui lui appartienne en propre au sein de la nature.

Or le monde, nous dit Kant, à la fin de la Critique de la faculté de juger, serait dépourvu de fin sans la présence de l'homme, seule créature à appartenir aux deux mondes à la fois. Ce monde-ci serait en effet pure mécanique absurde, incompréhensible, si l'homme, si peu à sa place dans ce monde-ci, ne lui appartenait pas aussi. Tout prend dès lors sens dans la nature par la présence de l'homme qui l'habite et qui, soumis à la loi morale, doit de ce fait être pensé comme la fin dernière de la création.

 

On peut affirmer en conséquence que l'on ne doit pas attribuer à l'homme une place particulière dans la nature ; il n'y a pas à proprement parler de place, même s'il peut y avoir un rôle à jouer… L'homme a ainsi un statut bien différent des autres êtres, en ce qu'il se distingue d'eux principalement par les capacités que lui confère sa raison. Nous sommes donc, finalement, amenés à penser que l'homme est une créature qui ne saurait trouver une place prédéfinie dans le monde, en raison de sa liberté d'être raisonnable.

Nous voici ainsi reconduits à l'interrogation de fond dont nous sommes initialement partis, qui portait sur l'identité de l'homme.

Audrey KELLER, élève en Terminale L à Saint-Pierre Chanel (Thionville) - 1998/99

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