La question posée porte sur ce que l'" on doit attendre de l'État", càd de l'ensemble des institutions qui organisent la vie collective dans le cadre d'une société donnée et qui exercent ce pouvoir, politique, d'organisation, par un organe spécialisé doté d'une administration permanente disposant de la souveraineté, et elle demande de chercher à savoir si "on doit tout attendre" de lui, autrement dit si tous les domaines de la vie - tant individuelle que collective - , qu'elle soit sociale, politique, économique, culturelle ou religieuse, doivent être régis par le pouvoir en place.
Cette question présuppose que l'on puisse être tenté de considérer que l'État doive répondre à l'ensemble des besoins sociaux, ainsi que le pensent les partisans de l'État providence, mais aussi que l'on puisse considérer au contraire que ses compétences aient des limites, ainsi que le pensent les libéraux.
En demandant si l'on doit tout attendre de l'État, on veut délimiter la place qu'il revient d'accorder à l'Etat de manière à être se tourner vers lui à bon escient et sans risquer d'avoir à en pâtir !
Pour répondre à la question, il est possible, dans un premier temps, d'examiner ce qui pourrait conduire à penser que l'on doive tout attendre de l'État. Il conviendra alors, dans un second temps, de d'examiner les raisons que l'on pourrait légitimement avoir de ne pas tout attendre de l'État. Il sera alors possible, dans un dernier temps, de définir ce qu'il convient raisonnablement d'attendre de l'État; en expliquant que l'on doive dans certains domaines s'en remettre à lui et, dans d'autres, s'en rien faire.
EXEMPLE DE DEVOIR RÉDIGÉ
Qu'est-ce qui pourrait nous inciter à penser que tout un chacun et la société entière devrait tout attendre de l'État ? N'est-ce pas la peur de la violence ?
De fait, l'État a pour fonction essentielle de protéger la vie des individus qui relèvent de sa juridiction. Il doit assurer une protection efficace de ceux-ci contre toutes les agressions qu’ils pourraient subir de la part des autres. En contrepartie de leur soumission à ses lois, l'État doit protéger les individus contre les effets nocifs de leur nature belliqueuse et, pour cela, exercer une fonction d'arbitrage dans les conflits qui en résultent.
Pour que l’État puisse pleinement exercer son rôle de protection et d'arbitrage, on peut penser qu'il est nécessaire que chaque citoyen lui aliène sa liberté et que l’État détienne dès lors un pouvoir absolu. Hobbes, philosophe anglais du XVIIe siècle, voit dans cet État, qui s'occupe ainsi de tout régenter, le seul moyen d'assurer la cohésion du corps social. Cet État, au pouvoir illimité, est appelé à régir tous les domaines de la société, y compris le domaine religieux, où il peut imposer une religion d'État, les différences de plusieurs religions au sein d'un même État aboutissant bien souvent, comme on a pu le constater au fil des siècles, à des conflits, voir même à des guerres. L'État se situant au-dessus des membres de la société, sa décision prévaut sur toutes les autres, ce qui lui permet sinon toujours d’éviter les conflits au sein de cette dernière, du moins d’y mettre fin.
L'État, selon la conception absolutiste de Hobbes, en organisant tous les domaines de la société, permettrait ainsi d'assurer la cohésion du groupe social et il conviendrait dès lors de s'en remettre à lui pour régler tous les problèmes qui viendraient à se présenter.
Toutefois, si nous venons de voir qu'un État dont on attend tout, semble pouvoir assurer pleinement la fonction première essentielle de tout État, qui est d’assurer la sécurité, on peut se demander si cette conception ne se heurte pas à deux limites. Nous allons voir en effet que, d'une part, dans cette conception l’État en vient à outrepasser ses droits : on ne saurait impunément tout permettre à l’État, ce que nous montrerons en évoquant le danger du totalitarisme, et que, d’autre part, cette conception est intenable : nous le montrerons dans les domaines économique et religieux.
De fait l'État tel que de Hobbes le conçoit conduit au despotisme et peut sombrer dans le totalitarisme. Les individus ayant abandonné leurs libertés entre les mains de l'État qui gère alors toutes leurs activités, celui-ci peut très vite être tenté par l'abus de pouvoir et, soit l'utiliser à des fins personnelles, ce qui conduira au despotisme, soit, même, supprimer tout espace politique, la société étant transformée alors en une masse homogène dépourvue d'initiative, ce qui conduira au totalitarisme. Il semble donc qu'il n'est pas bon de vouloir tout attendre de l'État en ce que cela amène à perdre toute liberté alors même que l'État a pour fonction d'en garantir à chacun l'exercice, en le protégeant contre l'usage abusif que les autres seraient tentés de faire de leur propre liberté.
De toute façon, il n'est pas possible de tout attendre de l'État. Dans le domaine économique, pour que le marché fonctionne au mieux, il faut qu'il possède la plus grande autonomie possible. C'est ce que pense le libéralisme économique, qui va de pair avec le libéralisme politique. Locke et Montesquieu souhaitent ainsi limiter l'État à ses fonctions régaliennes de maintien de l’ordre public, dont dépend la sécurité des biens et des personnes. La conception de la " grande société " de Hayek nous permet de mieux comprendre pourquoi l'État ne peut s'occuper efficacement du domaine économique. En effet, pour Hayek, c'est un système complexe dont le fonctionnement résulte d'une multitude de décisions prises par les individus qui s'ajustent spontanément les uns aux autres (selon la loi de l'offre et de la demande). Or un État n'a pas les capacités de connaître et maîtriser un tel système et donc de prendre les décisions qui s'imposeraient dans l'intérêt de tous. L’État se heurte aussi à une impossibilité s'il veut gouverner la vie religieuse. Nous avons vu précédemment que Hobbes pensait que l'État devait s'occuper de tous les domaines, et donc aussi du domaine religieux. Or il paraît évident que, dans un domaine qui relève en grande partie de la vie privée la plus personnelle, l'ingérence de l'État soit perçue comme une intrusion insupportable. La religion repose sur la foi et, comme le montre Locke dans sa Lettre sur la tolérance, la coercition ne peut forcer quelqu'un à croire puisque la persuasion intime, fruit du jugement intérieur, ne peut être imposée par un tiers. Il apparaît donc que l'on ne peut attendre de l'État qu'il prenne en charge certains domaines de la société, tels ceux de l'économie et de la religion, puisqu'il en est incapable.
Par où l’on voit qu'on aurait grand tord de penser que l'on doit tout attendre de l’État !
Après avoir vu en quoi on peut être tenté de tout attendre de l’État avant de découvrir les limites auxquelles cette conception se heurte, nous allons examiner s'il ne pourrait pas exister une attitude intermédiaire entre l'État au pouvoir absolu de Hobbes et l'État dont le pouvoir se limiterait aux seules fonctions régaliennes, celui de Locke et Montesquieu.
On peut raisonnablement envisager que, sans régir tous les domaines de la société, l'État ne se limite pas pour autant à ses fonctions régaliennes et intervienne donc dans d’autres domaines que celui du seul maintien de l’ordre. Ainsi, dans le domaine économique, le marché se régulant par lui-même peut engendrer des inégalités. Ne revient-il pas alors à l'État de les atténuer en attribuant des compensations, en réparation des préjudices subis (chômage, maladie, etc.), alors même qu'ils ne sont imputables à personne. Il peut aussi, grâce à la législation, imposer certain règles (notamment sur les licenciements) pour agir sur le fonctionnement de l'économie. N'est-ce pas d'ailleurs ainsi qu'il ira au-devant des révoltes qu'engendreraient à la longue les inégalités sociales, source d'injustice criante, et qu'il pourra ainsi maintenir l'ordre public, ce qui est sa fonction première. Dans le domaine religieux, l’État n’a-t-il pas tout intérêt à favoriser l’enseignement et la pratique des valeurs spirituelles qui, lorsqu’elles sont vécues au quotidien par les citoyens, les conduisent à s’entraider au lieu de chercher à se nuire les uns aux autres ?
Force est ainsi de constater que, sans tout attendre de l’État, on peut du moins attendre de lui qu’il favorise la justice et la bonne entente des citoyens et remplisse ainsi finalement sa fonction première, de maintien de l’ordre public.
Afin de répondre à la question de savoir si l’on doit tout attendre de l'État, nous avons vu que l'on doit attendre de l'État qu'il s'investisse dans tous les domaines de la société où il lui revient d'assurer la paix civile, tout en reconnaissant les limites auxquelles l’exercice de cette mission se heurte, notamment en raison du fait que l'État ne peut, ni en fait ni en droit, tout régenter. Nous avons mis ainsi en évidence une possible attitude intermédiaire entre l’État Gendarme et l'État Providence qui conduise l’État à intervenir pour réguler la vie économique et assurer la justice sociale. Il semble donc que l'on ne doive pas tout attendre de l'État, tout en attendant finalement de lui qu’il rende possible la vie commune dans l’intérêt de tous, ce qui n’est pas rien ! Entre l'absolutisme et le libéralisme, l'État ne peut-il pas en effet trouver l’équilibre dans un interventionnisme intelligent, sans être pour autant un État Providence auquel les citoyens confieraient le soin de résoudre à leur place l'ensemble de leurs problèmes.
Dans les démocraties actuelles, les élection offrent régulièrement aux citoyens le soin d'opter, selon les partis politiques qu'ils plébiscitent, pour une plus ou moins grande intervention de l'État. N’est-ce pas à eux d'être lucides sur ce qu'ils doivent attendre de lui ?
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