L'irrationnel

 

 

Plan

 

Introduction

- Qu'évoque le mot ?

- Problématique

I. En présence de quoi le sentiment de l'irrationnel surgit-il ?

1. L'expérience de l'irrationnel

2. Son enseignement

3. Question conséquente

N.B.Pascal, le coeur et la raison

II. L'irrationnel est-il ce qui, en soi, est absurde ?

1. Hypothèse: l'irrationnel, loin d'être ce qui est inconnaissable, ne serait-il pas ce qui est provisoirement inconnu?

2. Fondement de l'hypothèse

3. Examen de l'hypothèse

- En philosophie, par ex. chez Hegel

- En histoire des sciences

III. L'irrationnel n'est-il pas la résultante de la raison elle-même qui, en lui, affirmerait ses propres limites ?

1. Leçon du criticisme kantien

2. Signification ultime de la position de Kant

 

Conclusion

"Deux excès: exclure la raison, n'admettre que la raison" (Pascal)

 

 

Introduction

Notion

Le mot évoque ce qui échappe à la raison, ce dont on ne parvient pas à rendre raison, l'incompréhensible, somme toute ce qui résiste à une explication rationnelle.

Problématique

Centrée sur l'existence de l'irrationnel, notre interrogation portera

- sur son effectivité (à travers l'expérience qui en est faite) : en présence de quoi le sentiment de l'irrationnel surgit-il ?

- sur sa réductibilité : l'irrationnel est-il ce qui, en soi, est absurde?

- sur sa relativité : l'irrationnel n'est-il pas la résultante de la raison elle-même qui, en lui, affirmerait ses propres limites ?

 

I. En présence de quoi le sentiment de l'irrationnel surgit-il?

 

1. L'expérience de l'irrationnel

D'où le sentiment de l'irrationnel surgit-il ?

Pour le savoir, analysons la Pensée 198 de Pascal.

Relevons les termes-clefs qui désignent ou qualifient le sentiment de l'irrationnalité: " univers muet " , homme ... " sans lumière " " sans savoir " " incapable de toute connaissance " "sans connaître et sans moyen de s'en sortir"

Irrationnel = inaccessible à la connaissance !

-> l'irrationnel est expérimenté par ce que des questions surgissent, auxquelles nous sommes incapables d'apporter une solution. Il naît d'un sentiment d'impuissance absolue à comprendre.

 

2. Son enseignement

Que conclure du constat selon lequel l'irrationnel procède du sentiment d'impuissance à comprendre?

a) Que l'irrationnel est ce dont la raison fait l'expérience quand elle échoue.

b) Qu'il relève de notre expérience familière :

ainsi nous faisons expérience de l'altérité radicale de l'autre, qu'il s'agit du monde ou d'autrui,

ex. impuissance à concevoir et expliquer le surgissement initial du monde
ex. comble du psychologue, ne rien comprendre à sa femme...

Ainsi nous sommes impliqués dans de multiples situations dans lesquelles nous sommes impliqués et que nous sommes incapables d'analyser.

ex. naissance, mort, amour, etc.

N.B. G. Marcel parle de "mystère" à leur sujet, K. Jaspers de s"ituations limites"

 

3. Question conséquente

Question : Avons-nous affaire - dans les expériences évoquées - à une rationnalité provisoire ou bien définitive, autrement dit à quelque chose que nous ne comprendrions pas encore ou bien à quelque chose que nous serions incapables de comprendre à jamais ?

Cf. Partie suivante. Avant de se poser cette question, un retour à Pascal s'impose pour pré-éclairer notre lanterne philosophique.

Pascal, le coeur et la raison

Tout ce que nous avons dit repose sur une assimilation, l'assimilation de l'irrationnel à l'incompréhensible, conçu et défini en tant qu'inassimilable par la raison, càd résistant à tout effort d'explication.

Cela ne veut pas dire que ce que nous tenons pour irrationnel soit pour autant inconnaissable, que cela échappe à toute prise de notre pensée. Le considérer tel, ce serait poser la raison comme seule capable de nous mettre en relation avec la vérité .

Lire la Pensée 110 de Pascal PPA 249:

"Nous connaissons la vérité non seulement par la raison mais encore par le cúur", écrit Pascal. Précisons la nature de chacune de ces voies d'accè, telles que Pascal les définit :

Raison
Coeur
 

(sert à) éprouver

tient un discours qui prend appui sur des principes

les premiers principes lui échappent

démontre

conclut

demande des preuves

C'est par lui que nous sont connus les premiers principes avec autant de certitude que les connaissances acquises par raisonnement.

C'est sur les connaissances du cúur (et de l'instinct) qu'il faut que la raison s'appuie

Le cúur sent

Les principes se sentent

Pascal pose le coeur et la raison comme complémentaires et irréductibles : la raison a besoin du coeur. Ni l'une ni l'autre ne saurait exiger de l'autre qu'il procède comme lui.

Le texte de Pascal est une invitation faire à la raison de reconnaître ses limites. Il est à verser au compte de la critique du rationalisme.

 

 

II. L'irrationnel est-il ce qui, en soi, est absurde ?

 

1. Hypothèse : l'irrationnel, loin d'être ce qui inconnaissable, ne serait-il pas ce qui est provisoirement inconnu ?

On ne saurait identifier l'irrationnel avec ce qui n'est pas connu : non seulement parce que ce qui apparaît incompréhensible peut fort bien se révéler compréhensible un jour, mais aussi parce que ce qui se relève incompréhensible à la raison peut fort bien être accessible au coeur !

Reste que l'on peut se demander - les rationalistes ne manquent pas de le faire - si l'irrationnel ne serait pas du provisoire, appelé à disparaître en tant que tel plus tard.

Somme toute, demandons-nous (hypothèse !) si l'irrationnel ne serait pas du provisoirement incompris.

 

2. Fondement de l'hypothèse

Qu'est-ce qui soutient une telle hypothèse ?

La "foi" en la raison !

Qqc d'irrationnel, de l'ordre de la conviction.

 

3. Examen de l'hypothèse

En philosophie, par ex. chez Hegel
Examinons cette façon de voir chez Hegel, le plus rationaliste des philosophes contemporains.

Pour Hegel "tout ce qui est rationnel est réel et tout ce qui est réel est rationnel."

Pour lui l'irrationnel est une fiction forgée par la conscience : il n'y a rien dans les profondeurs de la conscience qui puisse être qualifié d'irrationnel, au sens où l'on y reconnaîtrait une existence à part entière, opposée à celle de la raison.

Hegel reconnaît que la rationalité s'accomplit provisoirement, mais l'irrationnel n'existe pas en soi, il n'est qu'une étape de la rationalité elle-même.

Ex. Les nombres irrationnels : les pythagoriciens découvrent une grandeur pour laquelle il n'existe pas de nombre: V2. Les limites de la raison se trouvent remises en cause. Pourtant on n'a pas affaire ici à un irrationnel en soi : l'irrationnel fait partie d'une démonstration rationnelle. Il existe une grandeur qui ne fait pas partie des entiers naturels.

Ex. L'infini : la réflexion sur l'infini au XVIIe siècle apparaît comme une remise en question de la rationalité classique. En effet, l'entendement humain, nécessairement fini, ne peut rendre compte de cette notion. Le témoignage de Pascal explique cette impuissance de la raison. "Nous connaissons qu'il y a un infini, et ignorons sa nature comme nous savons qu'il est faux que les nombres sont finis. Donc il est vrai qu'il y a un infini en nombre mais nous ne savons pas ce qu'il est. Il est faux qu'il soit pair, il est faux qu'il soit impair, car en ajoutant l'unité il ne change point de nature." (Pensées, fr. 418) De l'infini nous ne savons qu'une seule chose : il existe. Mais cette certitude, la raison ne peut l'expliquer, car elle ne peut rien dire de sa nature.

Ce que montrent ces exemples :

1) Que la raison peut entrer en crise avec elle-même dès qu'il s'agit pour elle de dépasser les limites qu'elle s'était fixées.

2) Que cette crise lui permet de progresser.

3) et donc qu'on ne peut tenir les limites de la raison pour définitivement fixées sous peine de ... dogmatisme.

 

 

III. l'irrationnel n'est-il pas la résultante de la raison elle-même qui, en lui, affirmerait ses propres limites?

 

1. Leçon du criticisme kantien

Ce qui découle de l'analyse précédente et qu'illustre la philosophie kantienne, appelée criticisme, la Critique étant la fixation des limites que la raison peut atteindre : l'irrationnel est défini par les limites que la raison pose elle-même.

La thèse de Kant est qu'il existe un domaine qui échappe à la raison théorique. Il lui assigne un domaine hors duquel elle ne saurait s'aventurer sous peine de se renier et qui se trouve être celui de l'irrationnel.

L'irrationnel n'a pas d'existence propre. Il est constitué par la raison elle-même qui reconnaît ses propres limites - mais il n'entrave en rien le processus de connaissance.

Cette reconnaissance a le mérite de limiter la prétention de la raison qui ne saurait rendre raison de tout.

 

2. Signification ultime de la position de Kant

Kant déclare au seuil de la Critique de la Raison Pure avoir voulu "limiter le Savoir pour faire place à la Croyance".

Par où l'on revient à ce que le texte de Pascal avait révélé : l'irrationnel, défini par référence à la raison, fût-ce à titre d'effet d'une précaution "raisonnable", n'est irrationnel que par référence à la raison et à ses limites. Il n'est pas pure négativité. Le foi, le coeur, y ont accès, de façon tout à fait légitime.

Pascal le disait (Pensées, 44): "la raison a beau crier, elle ne peut mettre le prix aux choses." "Le coeur a ses raisons que la raison ne connaît pas." S'il n'y avait que la raison pour guider l'homme, il ne saurait où aller ! Si la raison est l'auxilaire indispensable de la connaissance, dans le domaine de la théorie, elle ne saurait suffire à l'action, dans le domaine de la pratique.

 

Conclusion

Moralité: "Deux excès: exclure la raison, n'admettre que la raison " (Pascal, Pensées, 183)

 

© M. Pérignon