William James

(1842 - 1910)

 

Philosophe américain

Maître de l'analyse psychologique, observateur perspicace qui a ouvert une voie nouvelle à l'introspection, théoricien subtil des émotions et du subconscient, analyste des croyances religieuses, mais aussi tenant d'une doctrine métaphysique de l'«univers pluraliste» et d'une théorie pragmatique de la vérité, William James est une des grandes figures du pragmatisme, lequel continue à se diversifier.

 

Biographie

Né à New York en 1842, dans une riche famille protestante d'origine irlandaise, William James est l'aîné de cinq enfants, dont un frère cadet, le célèbre romancier Henry James, qui se fait naturaliser anglais, et une sœur, Alice, connue pour son journal intime. Le père, Henry James, s'était fait connaître en publiant de nombreux ouvrages de théologie. Il donne à ses enfants une éducation libérale, non conventionnelle et cosmopolite. William, qui connaît parfaitement le français, l'allemand et parle l'italien, fait, en dépit d'une santé fragile, de nombreux voyages à l'étranger. Il étudie la géologie, la littérature, la chimie, la biologie, l'électrodynamique, l'histoire, le sanskrit et la médecine au hasard des nombreux voyages de son père en Europe. Après avoir renoncé à une carrière de peintre, il explore l'Amazonie en compagnie du naturaliste antidarwinien Agassiz. À vingt-sept ans, il est reçu docteur en médecine à l'université Harvard, où il est ensuite chargé de cours sur les rapports entre la physiologie et la psychologie. En 1876, il fonde un laboratoire de psychophysique, puis il obtient, en 1889, la chaire de psychologie et, en 1897, celle de philosophie. Victime d'une crise cardiaque au cours d'une ascension dans les monts Adirondack, il part pour l'Europe malgré l'avis de ses médecins, et donne une série de conférences en Écosse, à l'université d'Édimbourg. De retour aux États-Unis, il est nommé à l'université Stanford. William James meurt d'une angine de poitrine à Chocorua, le 26 août 1910.

 

De l'exploration de la vie psychique à la définition de la vérité

 

Physiologie et métaphysique

 

Avec la publication des Principes de psychologie, en 1890, William James devient mondialement célèbre. Dans la conclusion de l'ouvrage, qui oriente la psychologie américaine dans la direction du fonctionnalisme et qui annonce le béhaviorisme de la génération suivante, l'auteur rejette la notion d'états de conscience et affirme que le mot même de conscience pèche «par excès de précision, de personnalisation».

Contre le principe d'inertie, qui est au fondement des sciences physiques, James, fondateur en 1873 d'un des premiers laboratoires de psychologie expérimentale aux États-Unis, invoque, au cœur de la vie psychique, le courant de la conscience, qui ne cesse de se creuser un lit à travers la multitude de nos impressions sensorielles. La vie psychique est, pour James comme pour Bergson, fluide et transitive. Les modifications organiques, particulièrement manifestes dans les émotions, loin de résulter d'un jugement conscient comme le veut l'intellectualisme, « suivent immédiatement la perception; et c'est la conscience que nous en avons à mesure qu'elles se produisent qui constitue l'émotion comme fait psychique ». Ainsi, écrit James, contrairement à ce que suggère le sens commun, nous n'avons pas peur parce que nous rencontrons un ours, nous ne nous fâchons pas parce qu'on nous insulte. En réalité, des manifestations corporelles s'interposent entre la perception (« fait de conscience représentatif ») et l'émotion (« fait de conscience affectif »): nous avons peur parce que la vue de l'ours nous fait trembler, et nous sommes fâchés parce que nous frappons celui qui nous insulte. Sans les états corporels, la perception n'engendrerait aucune charge émotionnelle: « Nous pourrions alors voir l'ours et juger que le mieux est de fuir, entendre l'insulte et juger qu'il convient de frapper: mais nous n'éprouverions ni frayeur, ni colère, au sens où ces mots expriment une réalité psychologique. »

L'importance accordée par James à la physiologie, son souci de décrire la vie psychique aussi concrètement que possible ne signifient pas pour autant qu'il partage le mépris que manifestent les esprits ordinaires à l'égard de la métaphysique. Au contraire, pour lui, les problèmes traités par la métaphysique sont « les plus importants qui soient, pour quiconque veut pénétrer à fond la constitution intime de l'univers envisagé comme un tout ».

 

Un pragmatisme tendu entre la croyance et la réalité

En 1907, James publie une série de conférences sur la philosophie, intitulée le Pragmatisme, indiquant que le nom de cette tendance philosophique, fondée par John Dewey (1859-1952), est apparu pour la première fois en 1878, dans un article de Charles S. Peirce (1839-1914). Tombé dans l'oubli pendant vingt ans, le terme est employé à nouveau par James dans un discours sur la religion prononcé à l'université de Californie.

Pour lui, le pragmatisme est un empirisme radical &endash; une méthode hostile à toute abstraction &endash;, mais c'est aussi une théorie de la vérité, dont l'originalité tient à sa vision concrète des choses. Toute investigation entreprise par ce courant de pensée commence, passe et se termine par le concret.

Comme tout penseur se réclamant du pragmatisme, James est avant tout soucieux d'une vérité qui ait des applications pratiques, qui soit utile à l'action: « Le vrai consiste simplement dans ce qui est avantageux pour notre pensée, de même que le juste consiste simplement dans ce qui est avantageux pour notre conduite. »

Mais, à la différence des autres versions du pragmatisme, celle de James présente une tension constante entre le pôle subjectif et le pôle objectif de la connaissance, autrement dit entre la croyance et la réalité, qui sont les deux points de référence de la validation de la vérité.

 

L'expérience religieuse

La vérité que comporte la religion relève d'un autre ordre que la vérité scientifique, mais elle ne s'impose pas moins à notre adhésion. La croyance dans la possibilité du miracle est ainsi retenue par James comme une prudente réserve à l'égard du déterminisme universel auquel la science attribue la production des phénomènes. La conscience, avec ses aspirations, ses projets, ses croyances, n'est pas un simple épiphénomène, mais un moyen d'action qui joue un rôle déterminant dans le cours des choses.

L'univers subjectif de nos croyances réalise des formes d'existence, regroupées par James sous le terme d'« expérience religieuse », qui renvoient à des réalités dont la science physico-mécanique ne saurait rendre compte et qu'aucune loi scientifique ne pourrait produire. Religion et science sont toutes deux des « organisations de nos représentations », dans lesquelles la réalité apparaît comme favorable à la réalisation de nos fins: soit, à long terme, par le long détour impersonnel et symbolique des théories scientifiques; soit, au contraire, par un court-circuit fulgurant entre le divin et le moi, dans les différentes variétés personnelles de l'expérience religieuse.

James relève, sans la déplorer, la multiplicité des sectes, des credo, des différents types de religion, qui doivent apporter à chacun une solution satisfaisante à ses propres difficultés: car « chacun, de son point de vue particulier, voit un ensemble de réalités plus ou moins impérieuses et ne peut s'y adapter que par une attitude originale ». En fin de compte, la réalité concrète se compose exclusivement d'« expériences individuelles ».

 

Vérité et opinion

L'un des reproches le plus souvent adressés à James est qu'il confond la vérité avec n'importe quelle illusion purement subjective. Cependant, dans ses deux derniers ouvrages, l'Idée de vérité et Un univers pluraliste, parus en 1909, James s'emploie à dépasser l'opposition entre la pluralité des expériences et l'unité du vrai, comme il s'est efforcé de dépasser le point de vue religieux habituel, qui pose d'un côté Dieu et, de l'autre, les hommes, distincts et différents. Le philosophe récuse l'opposition entre le subjectivisme et le réalisme en affirmant notamment que les croyances humaines ne sont pas fausses, car elles portent sur des réalités qui ne pourraient pas être connues si on n'y croyait pas. Ayant exposé dans Un univers pluraliste sa conception métaphysique essentiellement religieuse de la structure de l'Univers, James définit enfin la vérité comme « une série idéale de formules vers lesquelles on peut s'attendre à voir, au cours de l'expérience, converger à la longue toutes les opinions ».

Cet espoir de convergence ultime, au-delà du caractère irréductiblement singulier de toute expérience vécue, confère au pragmatisme de James sa grande originalité; il eut d'ailleurs bien plus de succès que la théorie initiale de Charles S. Peirce. Mais, dans les années 30, le pragmatisme se fractionna en diverses écoles rivales, au point qu'on a pu recenser treize acceptions différentes de ce terme et que l'étiquette « pragmatisme » est tombée dans un relatif discrédit.

Après avoir évoqué naguère un certain style de pensée, auquel sont associés Henri Bergson et Alfred North Whitehead, le nom de William James revient aujourd'hui dans les débats philosophiques, en raison même des multiples perspectives ouvertes par son œuvre. En effet, qu'il s'agisse de l'origine des concepts, des problèmes de la vérité, de la réalité ou de l'adéquation du langage, sa pensée se retrouve au cœur des discussions qui opposent les principaux représentants de la philosophie américaine (Willard Quine, Hilary Putnam et Richard Rorty), adversaires ou partisans des pragmatismes de James, de Peirce ou de Dewey.

 

© Hachette, Encyclopédie Multimedia