Commentaire de texte

 

Grille d'analyse

d'après Michel TOZZI

CAHIERS PEDAGOGIQUES - NO 329 - Décembre 1994

 

 

 

Accoutume-toi sur ce point à penser que pour nous la mort n'est rien, puisque tout bien et tout mal résident dans la sensation, et que la mort est privation de nos sensations. Dès lors la juste prise de conscience que la mort ne nous est rien autorise à jouir du caractère mortel de la vie: non pas en lui conférant une durée infinie, mais en l'amputant du désir d'immortalité. Il s'ensuit qu'il n'y a rien d'effrayant dans le fait de vivre, pour qui est radicalement conscient qu'il n'existe rien d'effrayant non plus dans le fait de ne pas vivre.

Stupide est donc celui qui dit avoir peur de la mort non parce qu'il souffrira en mourant, mais parce qu'il souffre à l'idée qu'elle approche. Ce dont l'existence ne gêne point, c'est vraiment pour rien qu'on souffre de l'attendre ! Le plus effrayant des maux, la mort, ne nous est rien, disais-je : quand nous sommes, la mort n'est pas là, et quand la mort est là, c'est nous qui ne sommes pas ! Elle ne concerne donc ni les vivants ni les trépassés, étant donné que pour les uns, elle n'est point, et que les autres ne sont plus.

 

Epicure

 

LE LECTEUR philosophique construit le sens philosophique d'un texte à partir de questions philosophiques qu'il lui pose, tout en se posant à lui-même ces questions. L'intérêt de la lecture philosophique est donc double: analyser comment un philosophe s'y prend pour penser, et penser par soi-même à partir de cette pensée.

 

 
Lecture philosophique du texte d'Epicure sur la peur de la mort à ne pas éprouver
 
Questions philosophiques

Quelle est la question soulevée dans ce texte ?

En quoi est-ce un problème philosophique compte tenu de son enieu ?

 Résultat la lecture philosophique

Ce texte aborde une notion philosophique, la mort, sous l'angle de l'effet qu'elle produit sur les hommes. Il soulève la question de la peur de la mort. Le problème est de savoir quelle attitude philosophique avoir face à la mort, réponse dont l'enjeu est fondamental par ses conséquences: le sens, notamment éthique, donné à sa vie.

 

Quelle est la réponse de l'auteur à ce problème - sa thèse ?

 

Epicure soutient que

la mort n'est rien (première thèse),

donc qu'elle n'est pas effrayante (deuxième thèse).

Il en conclut - on mesure l'enjeu de la réponse - qu'il faut jouir de la vie (troisième thèse).

N.B.: Il précisera plus loin, en jouir en distinguant raisonnablement les désirs.

 

Contre quelle conception s'élève-t-il l'antithèse?

 

Il combat l'idée antithétique à la précédente, qu'on doit avoir peur de la mort, et souffrir à son approche.

 

Comment l'auteur justifie rationnellement sa thèse?

 

 

 

Pour légitimer sa première thèse, il donne deux arguments:

Au début, sous forme de syllogisme:

tout bien et tout mal résident dans la sensation;

  • or la mort éradique nos sensations;

    donc la mort n'est ni un bien ni un mal, c'est-à-dire rien.

    A la fin, sous forme de raisonnement:

    quand nous sommes vivants, la mort n'est pas là donc ne nous concerne pas;

    et quand elle est là nous ne sommes plus, donc elle ne nous concerne plus.

  • Puis il lie logiquement plusieurs thèses:

    si la mort n'est rien, elle n'a pas à nous effrayer (deuxième thèse);

    si la vie n'est plus effrayante par la perspective de la mort, jouissons-en - (troisième thèse).

     

    Quelles sont les distinctions conceptuelles de la pensée de l'auteur, qui permettent de poser ou/et de résoudre philosophiquement le problème ?

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    La position et la résolution du problème se déploie à partir de la coupure radicale entre les notions de vie et de mort.

    • La mort n'est pas une survie, elle est seulement mort; la vie ne se survit pas, elle s'arrête et se suffit à elle-même. D'où l'élimination des notions d' " immortalité et de durée infinie (thèse MATERIALISTE).

    • S'il y a opposition entre bien et mal, ces valeurs sont uniquement du côté de la vie. Le mal, la souffrance n'étant pas liés à la mort, celle-ci n'est pas effrayante. Le matérialisme exclut toute TRANSCENDANCE extérieure, supérieure ou postérieure à la vie elle-même.

  • • Le bien et le mal résident dans la sensation: d'où une éthique SENSUALISTE, et non du devoir ou de la vertu, cohérente avec le matérialisme. Le réseau conceptuel oppose donc Vie - Sensation - Bien - Jouissance / Souffrance - Mort - Immortalité.

    • C'est ce qui fonde l'opposition entre " o sophos ", le sage, fondant sa conduite, par une " prise de conscience radicale", sur un plaisir paisible, et le non-philosophe, " stupide " par son inconscience, et en proie aux passions (" la peur de la mort ").

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    L'intérêt philosophique de ce texte est de fonder, à partir d'une attitude matérialiste devant la mort, qui délivre l'homme de l'angoisse, une éthique hédoniste de la vie.